Ces urbains et urbaines sachant chasser

Les adeptes de chasse et de pêche qui ont élu domicile dans les centres urbains, comme Montréal, peuvent rencontrer une forte opposition à leurs pratiques, sous la forme de mouvements antispécistes et végétaliens. Ils et elles trouvent plutôt dans ces activités une façon de se réunir et d’apprécier la nature.

Jessie Grégoire, étudiante au baccalauréat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a grandi dans une famille de chasseurs et de chasseuses. Encore aujourd’hui, les membres de son entourage vont régulièrement à la chasse dans les Hautes-Laurentides. Elle voit dans la chasse et dans la pêche des occasions de passer du temps en groupe. « J’y vais pour la nature, pour l’expérience familiale, précise-t-elle. Quand on fait une activité comme la chasse à la perdrix, on est plusieurs, on se promène et on fouille dans le bois. Je n’irais pas toute seule. »

La chasse décomplexée

Souvent pratiquée comme activité sociale, la chasse a des racines profondes au Québec. En milieu rural ou simplement à l’extérieur des centres urbains, on l’aborde d’une façon plus décomplexée, explique la professeure d’anthropologie à l’Université du Québec à Rimouski Geneviève Brisson.

« C’est beaucoup moins connoté négativement, remarque-t-elle. Les gens l’abordent plus franchement. Dans le temps de la chasse, à certains endroits, les gens se demandent : “as-tu tué ?”. »

« Il ne faut pas que ce soit interprété péjorativement, ajoute-t-elle. C’est vraiment le langage de la chasse qui devient le langage de la région à cette époque de l’année, parce que ça rythme les saisons. »

En ville, la chasse et la pêche occupent au contraire des places minimes dans le quotidien des gens, analyse Mme Brisson, dont les recherches portent entre autres sur les conceptions sociales du territoire forestier québécois.

« En ville, le contact avec la nature n’est pas le même. Il y a une espèce de poids très négatif. La signification de la chasse pour certains urbains, c’est une espèce de party sauvage, dans le sens où on va sacrifier du vivant pour s’amuser », lance la professeure.

Au cœur des arguments antichasse se trouve souvent la philosophie antispéciste. « Le principe général de l’antispécisme, c’est qu’on ne peut pas justifier de préserver sa vie en prenant la vie [d’un animal], surtout si on est pour le faire plusieurs fois », explique Annaelle Jacques-Morel, qui milite au sein du Collectif antispéciste pour la solidarité animale, à l’UQAM.

« C’est quelque chose qu’on accepte généralement dans nos interactions entre humains », poursuit-ille*.

Confrontée à des points de vue de ce genre lors de son entrée à l’université, Jessie Grégoire a elle-même entamé une réflexion personnelle quant à sa participation aux pratiques de chasse et de pêche.

« Quand je dis que mes parents chassent, je mets de l’avant qu’ils ne le font pas pour les trophées, mais pour manger, affirme-t-elle. Aujourd’hui, la chasse peut passer comme quelque chose de barbare. »

Si la chasse vient transgresser les modes de pensée antispécistes, ceux et celles qui la pratiquent prônent souvent des méthodes qui se veulent respectueuses de l’animal et de ses droits. Geneviève Brisson fait remarquer que certains chasseurs et certaines chasseuses vont aller jusqu’à se recueillir auprès de l’animal après l’avoir tué, dans un geste aux allures spirituelles.

« Ma famille s’en fait un point d’honneur. On ne veut pas blesser l’animal. Quand on le tue, on veut le tuer d’un coup, si possible », dit Jessie Grégoire.

Ouvrir le débat

Lors de ses discussions à l’UQAM avec des défenseurs et des défenseuses des droits des animaux, Jessie Grégoire a vite remarqué que l’argument anti-industrie, un pilier de l’idéologie antispéciste, trouvait écho auprès des adeptes de chasse.

« Moi, ça m’évite d’aller au magasin, observe l’étudiante. Le coût environnemental est vraiment moins élevé que celui d’élever des bœufs. »

Geneviève Brisson voit aussi dans la chasse quelques valeurs qui peuvent se coller à celles de l’antispécisme. « C’est quand même révélateur que la loi du [ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec] ne permette pas de vendre du gibier qu’on a chassé. On se rend compte qu’on peut être [antichasse] et anticapitaliste, mais que ces deux éléments peuvent se contredire dans certains contextes, comme celui-là. »

Toutes deux insistent pour que des discussions aient lieu. Échanger pourrait ouvrir des yeux dans les deux camps, avance Mme Brisson. « Il ne faut pas voir ces mouvements antichasse comme négatifs, dit-elle. Ils poussent à réfléchir sur le sens qu’on donne à la chasse pour se positionner de façon éthique, correcte, juste. »

* Ce pronom désigne une personne non binaire. Le Montréal Campus s’est doté d’une politique de féminisation des textes. Pour en apprendre plus sur le sujet, vous pouvez lire l’éditorial à ce sujet paru en février 2019.

photo : FÉLIX LEBEL MONTRÉAL CAMPUS

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