Critique contemporaine des limites de l’injustice humaine, l’adaptation de la pièce L’homme éléphant, présentée au Théâtre du Rideau Vert, arrive de peine et de misère à faire revivre les souffrances qu’a réellement vécues Joseph Merrick dans les années 1880.
Le rideau s’ouvre. Le public se retrouve aussitôt plongé dans l’univers des foires ambulantes du 19e siècle. « Mi-homme, mi-bête », scande un animateur de rue, déclinant les mérites de l’homme éléphant à l’avant-scène. Derrière une affiche promotionnelle digne des plus grands cirques de l’époque, on trouve l’horreur. Le pan de tissu cache Joseph Merrick, un homme souffrant de neurofibromatose, une maladie qui déforme entièrement le corps humain.
Des photographies de M. Merrick sont ensuite présentées à l’auditoire. Un voile, scindant l’avant et l’arrière de la scène, laisse entrevoir l’acteur Benoît McGinnis. Son corps prend tranquillement la posture du malade. Il sera, pendant 90 minutes, confiné dans le corps de l’homme éléphant.
Un problème d’inclusion
« Je veux voir plus loin que l’enveloppe, que l’apparence », déclare le metteur en scène, Jean Leclerc, dans son billet à l’intérieur du programme. Si l’objectif de cette adaptation est, comme sous-entend M. Leclerc, d’aller au-delà des inégalités humaines, c’est un coup manqué.
À force de voir Benoît McGinnis sur scène, le public vient à oublier l’image répugnante de Joseph Merrick pour n’y voir qu’un homme en pleine forme. Rendre l’homme éléphant conforme aux standard de beauté allège la charge des préjugés auxquels ce dernier fait face depuis sa naissance.
Bien qu’il incarne son rôle avec brio, il est difficile de croire que l’acteur soit confronté à autant de haine de la part de son entourage. L’adaptation du Rideau Vert perd alors une grande force de l’histoire originale, où les personnages s’attachent à cet homme des plus repoussants.
Certaines répliques cinglantes à l’égard de l’homme éléphant aident à comprendre le poids du jugement des autres personnages. Par contre, certaines de ces phrases dégradantes ne s’adressent pas à Joseph Merrick. Elles visent plutôt les minorités visibles et les femmes. Le mot nègre, par exemple, a été prononcé dans une phrase de manière banale.
En utilisant un mot aussi lourd de sens aujourd’hui, il est ensuite difficile de se laisser entraîner dans la lutte à l’injustice défendue par le metteur en scène.
Des choix conservateurs
Le décor se résume à un plancher de bois. Une simple marche divise l’avant et l’arrière-scène. Une gigantesque horloge victorienne fixée sur le mur du fond rappelle les églises londoniennes du 19e siècle.
Bien que l’idée se cachant derrière cette scénographie semble judicieuse compte tenu de l’amour de Joseph Merrick pour l’institution catholique, la simplicité de l’espace de jeu ne montre rien d’éblouissant. Ces choix ternes se matérialisent tout autant dans le jeu des comédiens. Outre Benoît McGinnis, le travail des acteurs est sobre.
Les comédiens sont également appelés à conserver un français soutenu digne de la bourgeoisie des années 1800. Leurs costumes, qui n’ont rien d’exceptionnel, sont des habits d’époque, des attributs conventionnels du théâtre classique.
Ces choix artistiques ont pour effet d’éloigner le spectateur des problèmes soulignés dans la pièce. Le public se retrouve face à un langage qui ne lui est pas familier. Il se voit aussi forcé de plonger dans un siècle qui n’est pas le sien.
Présentant cette histoire comme celle d’une autre époque, le spectateur peut rapidement se perdre dans le fil du récit. Il peut également croire, à tort, que les critiques sociales soulevées dans la pièce sont des problèmes révolus.
La pièce L’homme éléphant est présentée jusqu’au 3 mars prochain au Théâtre du Rideau Vert.
photo : JEAN-FRANÇOIS HAMELIN GRACIEUSETÉ THÉÂTRE DU RIDEAU VERT
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