Ralliant passé et présent dans une valse réussie, la pièce Vu du pont, présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), jette un regard moderne sur l’accueil de nouveaux immigrants qui foulent le sol d’une terre inconnue.
Le TNM est plein, la scène dépouillée. Un bruit de bateau fend le silence de la salle, tout ouïe et plongée dans la pénombre. Par cette entrée en matière très simple, le spectateur est prévenu : l’histoire écrite par Arthur Miller ne sera pas rose.
Écrite en 1955, la pièce Vu du pont, mise en scène par Lorraine Pintal, nous transporte dans le noyau familial d’un ouvrier portuaire de Brooklyn, aux États-Unis, qui a dû quitter l’Italie après la Seconde Guerre mondiale.
Eddie Carbone a passé les dix-sept dernières années à travailler d’arrache-pied pour que Catherine, sa nièce orpheline qu’il a prise en charge, puisse rêver d’une vie meilleure que sa femme Béatrice et lui. Il est loin de se douter de la rage qui s’accumulera en lui lorsque les deux cousins de Béatrice débarqueront clandestinement d’Italie, comme des milliers d’autres, à la recherche de travail.
Impossible pour le spectateur de ne pas trouver des similitudes entre la situation de Rodolfo et Marco, qui viennent de mettre les pieds aux États-Unis, et l’enjeu actuel des migrants aux quatre coins du globe. Dès leur arrivée, les deux personnages sont bien reçus chez Eddie, qui ne tarde pas à leur mettre des bâtons dans les roues. Il est ainsi possible d’observer une analogie intéressante avec l’actualité brûlante, alors que les immigrants sont souvent bien accueillis, mais voient parfois les politiques des pays d’accueil freiner leur intégration. Près de 60 ans plus tard, le texte frappe encore avec une vive acuité.
Les accents de Rodolfo et Marco, pourtant fraîchement arrivés de Sicile, auraient pu être retravaillés pour apporter une touche plus réaliste à cette histoire. Les autres comédiens ont souvent un accent beaucoup trop québécois pour une pièce qui se passe à l’extérieur de la province. Il aurait été préférable d’utiliser le français normatif pour éviter aux spectateurs d’être agacés à l’occasion.
Certains spectateurs se verront en Catherine, une jeune femme qui s’éprend de Rodolfo au grand désespoir d’Eddie. Frénétique, elle peine à convaincre son père adoptif qu’elle est plus qu’un simple « passeport » pour lui. La force de Vu du pont tient principalement dans cet éclatant duo entre François Papineau et Mylène St-Sauveur, qui vacille entre douceur et désarroi. Proche de la tragédie grecque, le spectacle renvoie aux thèmes intemporels de la possession, de la vengeance et de la trahison.
Campée dans un décor assez sobre, la pièce débute avec un rythme efficace qui happe les spectateurs. À gauche, un grillage de bois délimite l’espace de jeu tandis qu’à droite, un mur blanc accueille les projections en noir et blanc d’un port. Ce décor minimaliste est astucieux, car il permet de passer d’un lieu à l’autre en claquant des doigts. En changeant le positionnement de quelques accessoires, les personnages passent du confort de la cuisine au bureau de l’avocat.
Joué par Paul Doucet, très crédible dans son rôle, l’avocat observe durant les deux heures de la pièce les échanges entre les personnages. Il s’adresse parfois au public à la manière d’un coryphée pour expliquer les situations, brisant ainsi le quatrième mur d’une façon un peu trop classique.
L’éclairage est un autre élément qui ne passe pas sous le radar. Les jeux de lumière sont particulièrement intéressants lors des changements de scènes, car ils proposent des atmosphères différentes, soit plus funestes, soit plus chaudes. Ce choix artistique entraîne aussi la projection des ombres des personnages sur le mur blanc du décor, ce qui leur donne une impression de grandeur.
Vu du pont est une pièce bien ficelée qui marque l’imaginaire sans pour autant utiliser des artifices pour y parvenir. La pièce, qui est à ne pas manquer, sera présentée jusqu’au 9 décembre prochain au TNM et dans quelques villes du Québec à partir de janvier 2018.
photo: YVES RENAUD GRACIEUSETÉ TNM
Laisser un commentaire