Chichis règlementaires

La confusion règne toujours quant à l’application de la nouvelle orthographe dans le milieu scolaire. L’abolition du tréma sur les «u» n’aura pas servi à mettre les points sur les «i». 

Les exemples nénufar* et ognon*, il y a 25 ans, avaient fait sursauter bien des tenants de la graphie traditionnelle du français. Certains la trouvent contreproductive* et remettent en question le bienfondé* de la démarche propice à l’exéma*. D’autres, affirment qu’il suffit de travailler assidument* afin de connaitre* dans les moindres détails cette orthographe malaimée*. Or, telle un millepatte* sur un nénufar*, la nouvelle orthographe de la langue française a fait son petit bonhomme* de chemin depuis son annonce en mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix*.

Cette nouvelle graphie des mots se compose d’une vingtaine de nouvelles règles et d’une révision de l’orthographe des mots et du pluriel des mots empruntés à d’autres langues. L’accord du participe passé du verbe «laisser» et de l’utilisation du trait d’union dans l’écriture des chiffres sont aussi visés. «C’est beaucoup de la régularisation et de la francisation. Donc, c’est amener des régularités dans le système orthographique du français, explique la linguiste et chargée de cours à l’UQAM, Chantal Contant. Plus un système est régulier, comme en espagnol ou en italien, plus ça devient facile pour les élèves d’apprendre et de maîtriser leur langue.»

Ces nouvelles règles sont souvent méconnues dans le milieu de l’enseignement, se désole Chantal Contant, aussi cofondatrice du Groupe québécois pour la modernisation de la norme du français (GQMNF). «Quand je donne des conférences, les gens arrivent des fois à reculons», relate Chantal Contant. La chargée de cours explique que les rumeurs de cheval avec un «s» et éléphant avec un «f» lui ont donné la vie dure. «Mais ce n’est même pas ça la nouvelle orthographe, s’exclame-t-elle. Ça, ce sont de fausses rumeurs!»

Au quotidien, la nouvelle graphie de ces mots semble être utilisée plus souvent qu’il n’en paraît. Dans le domaine de la presse écrite, certaines règles de la nouvelle orthographe sont utilisées alors que d’autres mots sont employés selon la méthode traditionnelle. «Le journal suit plutôt l’évolution naturelle de la langue et adopte des modifications une fois qu’elles sont entrées dans l’usage», explique la chef de la division de la révision du quotidien La Presse, Lucie Côté. Les journalistes restent en général fidèles à l’orthographe traditionnelle, mais peuvent emprunter certaines nouvelles pratiques comme la soudure des mots composés ou la francisation de mots étrangers.

Dans les écoles, les positions sont tout aussi variées. «Honnêtement, je n’ai rien contre la nouvelle orthographe, déclare sans hésitation une professeure de français du Collège Jean-Eudes, Véronique Béchette. Mais lorsque je suis arrivée ici, je peux dire que le corps professoral était divisé, peut-être 50-50, voire même plutôt contre.» Celle qui a enseigné à la première année du secondaire et qui enseigne maintenant à la cinquième année du secondaire explique la méfiance de certains de ses collègues. Ceux qui doutent de la nouvelle méthode sont ceux dont la formation misait plus sur l’étymologie. «Ce sont surtout ceux qui ont appris le latin [qui se méfient de la nouvelle orthographe], explique-t-elle. Ils trouvent que cela représente une espèce de “cassure“ dans l’histoire des mots.» Le Département de français du collège n’a cependant pas eu de discussions récentes à ce sujet, précise l’enseignante.

Antidote à la réforme

La confusion qui entoure certaines règles de la langue de Molière survient alors que les étudiants peinent de plus en plus à réussir leurs épreuves de français. Une récente étude menée par des chercheurs de l’Université Laval a démontré que les élèves de la troisième génération de la réforme scolaire ont terminé l’examen du Ministère de l’Éducation avec un pointage de 56 % alors qu’il était de 61,8 % avant cette même réforme. «C’est assez mineur», souligne Chantal Contant. C’est sûr que ça ne nuit pas! Ça aide pour les quelques mots d’usage courant que les petits auraient à apprendre.»

Tous s’entendent pour dire que le Ministère doit clarifier la démarche pédagogique si l’on veut rendre plus efficace l’application de cette nouvelle orthographe. Depuis 2009, le Ministère accepte d’ailleurs la nouvelle orthographe dans la correction des examens finaux. Pour Chantal Contant, c’est une petite victoire, mais le Québec serait toujours en retard puisqu’il y a un manque de directives d’enseignement par le Ministère de l’Éducation. Les élèves se retrouvent donc à apprendre une ou l’autre des orthographes selon la volonté de leur professeur. «Mes filles apprennent à écrire boîte avec un accent circonflexe, illustre Véronique Béchette. Je ne veux pas leur expliquer que, selon la nouvelle orthographe, le « i » peut ne pas avoir d’accent circonflexe pour ne pas les mélanger.»

Toujours sans directives claires de la part du Ministère de l’Éducation et libres de choisir entre les deux graphies autorisées par l’Office québécois de la langue française, les enseignants sont donc laissés à leur jugement. La situation laisse un drôle de gout* dans la bouche de certaines personnes du milieu de l’éducation.

*mots écrits en nouvelle orthographe

Crédit photo : Flickr

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