Jeunes à tout prix

Un nombre grandissant d’hommes sollicite des rendez-vous dans les cliniques d’esthétique. S’ils rêvent d’un ventre plat ou d’un visage lisse, c’est surtout d’être de leur temps qui les attise.

Fabien* a choisi comme photo de profil sur Facebook l’un de ses égoportraits. Difficile de croire que l’individu souriant et détendu a 49 ans. Depuis le début de la quarantaine, l’homme qui travaille dans le milieu des affaires est passé sept fois sur la table d’un médecin spécialisé en esthétique. Les injections de Botox cosmétique qu’il y a reçues lui ont permis d’atténuer les rides de son front et autour de ses yeux. «C’est pour mon estime personnelle, je veux rester beau et séduisant», précise-t-il.

Des hommes comme Fabien, il y en a de plus en plus. Il y a 20 ans, le sexe masculin ne représentait que 10 % de la clientèle du chirurgien expert en chirurgie esthétique et président de l’Institut canadien de chirurgie esthétique, le Dr Nabil Fanous. Aujourd’hui, cette proportion est passée à 30 %. Si l’on a toujours attribué systématiquement le souci de l’apparence à la gent féminine, les hommes s’intéressent de plus en plus à l’univers de la beauté pour rester dans le coup. «Quand on est dans une société qui met beaucoup d’accent sur l’esthétique, on n’a pas le choix d’embarquer là-dedans», constate la sociologue de la mode, Mariette Julien.

Selon leur âge, les hommes choisissent différents traitements. Les clients de 35 à 50 ans réclament en général des interventions de rajeunissement, comme le redrapage des paupières, le lifting facial ou la diminution des rides. «Avec la vieillesse, l’expression du visage change parce que les traits commencent à tomber. On a l’air plus fatigué, plus triste et ça ne se reflète pas bien dans une entrevue d’embauche», explique le Dr Fanous, dont la clinique se situe à Montréal. «J’ai des rencontres à tous les jours et la bonne impression est importante», confirme Fabien.

Le marché du travail ne représente qu’une facette de la compétition basée sur l’apparence. «Maintenant, on ne se case plus à 20 ans, les gens vont avoir plusieurs partenaires sexuels au cours de leur vie, ce qui fait qu’ils ne vont plus percevoir leur corps de la même façon», affirme Mariette Julien. Les hommes sont aussi concernés par cette évolution et doivent adopter une attitude de séduction. «Les femmes, plus indépendantes, ont développé des goûts en matière d’attirance sexuelle. Elles exigent qu’un homme soigne son apparence», indique-t-elle. L’engouement pour les traitements esthétiques parmi les hommes de moins de 35 ans reste un phénomène assez nouveau. «Ils n’ont pas besoin de rajeunissement, mais c’est surtout eux qui viennent dans ma clinique», mentionne le Dr Fanous, qui pratique pour ce groupe d’âge surtout des rhinoplasties, c’est-à-dire des chirurgies correctrices du nez, et des liposuccions abdominales. À la Clinique de chirurgie et médecine esthétique du Dr Mario F. Bernier, à Laval, le chirurgien plasticien est confronté plutôt aux problèmes de gynécomastie, un développement excessif des glandes mammaires qui touche les hommes à l’adolescence. «Ils se sentent mal à l’aise, ils ne vont pas à la plage, à la piscine, ils ne sortent pas, donc leur vie est très affectée au point de vue social», explique-t-il.

Selon les médecins, les nouvelles technologies et une plus grande liberté de choix expliquent cette ferveur pour l’esthétique chez les jeunes hommes. Mariette Julien y voit davantage une quête d’authenticité. «Ils se disent «mon nez ne me ressemble pas, ça ne va pas avec ma personnalité», alors ils vont se donner le droit de trans- former leur corps pour se rapprocher le plus possible de ce qu’ils sont à l’intérieur, ou à tout le moins de ce qu’ils pensent être à l’intérieur», avance-t-elle.

Terrain étranger

Les cliniques d’esthétique demeurent malgré tout un environnement féminin. «C’est encore difficile pour les hommes de franchir la porte, d’arriver dans un milieu où il y a beaucoup de femmes dans la salle d’attente», estime le Dr Bernier. Certaines réagissent à la présence d’un homme qu’elles voient comme un intrus. «Il y a un gros malaise. J’ai déjà eu des femmes qui me regardaient avec un sourire en me voyant, ça m’énerve», déclare Fabien. Pour mettre ses clients à l’aise, le chirurgien plasticien organise son horaire de sorte que certaines plages soient réservées aux hommes. Les consultations aussi se déroulent différemment. «Il faut que ça soit rapide, il a hâte de sortir», affirme Mario F. Bernier. Pour les traitements, un certain conservatisme est de mise avec la clientèle masculine qui s’attend à ne pas voir les modifications. «On va enlever moins de peau à un homme quand on fait une chirurgie des paupières, qu’à une femme, chez qui on va pouvoir faire ça beaucoup plus étiré», précise-t-il.

Fabien se garde de confier ses visites esthétiques à ses collègues, à ses amis et même à ses enfants. Seule sa conjointe est au courant. «J’ai un peu honte de le faire, je ne veux pas que mes enfants suivent mon modèle, admet- il. C’est moi qui ne veux pas vieillir. S’ils réussissent à l’accepter, tant mieux pour eux. Je leur souhaite.»

*Nom fictif

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