Sans assurances, les artistes autonomes de cirque jonglent avec leur santé. Souscrire à la CSST les rebute à tel point qu’ils préfèrent continuer de jouer avec le feu.
Chaque été, David Fiset enfourche son monocycle surélevé pour émerveiller les piétons de ses jongleries. Même s’il manipule feu et couteaux avec aisance, c’est assis à son bureau à la recherche de contrats que cet autodidacte a vu sa carrière prendre un autre tournant. Une entorse lombaire provoquée par un mauvais mouvement à l’ordinateur l’a privé de salaire pendant quatre mois. La blessure est survenue à l’été, une période riche en contrats où la plupart des artistes amassent la majorité de leurs revenus annuels. Se croyant assuré automatiquement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), il n’a reçu aucune indemnité et s’est vu contraint de vivre sur ses maigres réserves.
Avant l’accident, David Fiset avait reçu quelques bribes d’informations sur les démarches nécessaires pour adhérer à la CSST. Peu informé, il n’avait pas vu l’utilité de s’y joindre. «Je n’étais pas vraiment au courant du fonctionnement. Les entraîneurs et les employeurs n’en parlaient pas», raconte-t-il. Artiste autonome, le jongleur doit assurer lui-même son inscription à la CSST puisqu’il saute de contrat en contrat, sans jamais être embauché plus de 40 jours par le même employeur. Par ce statut, il ne bénéficie pas d’une couverture obligatoire, à l’instar des employés d’entreprises comme le Cirque du Soleil ou le Cirque Éloize.
Un consensus se dégage chez les employeurs et dans certains centres de formation: les artistes autonomes sont responsables d’obtenir des assurances. «Les jeunes doivent s’informer sur les démarches à faire auprès de la CSST. Les artistes ne s’intéressent pas à ça jusqu’à ce qu’il se produise des incidents malheureux», affirme la directrice des opérations pour la troupe Les 7 doigts de la main, Sophie Picard. Selon elle, même certaines petites compagnies de cirque ne s’enregistrent pas à la CSST, souvent parce que l’administration les répugne.
Cette lourdeur bureaucratique freine de nombreux acrobates. «Je devais aller jusqu’à me créer un conseil d’administration et consigner d’avance toutes mes heures d’entraînement pour espérer être assuré durant ces périodes, s’exclame David Fiset. Sans quoi, on assurait seulement les blessures lorsque je faisais des contrats.» Malgré l’entorse, il a abandonné son inscription à la CSST à cause de la complexité du processus. Cet artiste multidisciplinaire devait se créer une entreprise où il devenait employeur, employé et travailleur autonome à la fois. «On dirait qu’ils travaillent avec un tableau et que la case des artistes de cirque n’existe pas, renchérit l’équilibriste Sandrine Merette. Ils ne comprennent pas le milieu. Il serait grand temps que notre carré soit créé.»
Le jongleur David Fiset s’est ensuite tourné vers les assurances privées où il a frappé un mur. «Le métier est dangereux et ça effraie beaucoup de compagnies», affirme-t-il. Les artistes de cirque reçoivent la même protection que tout autre corps de métier, assure la CSST. «Deux travailleurs autonomes, protégés par une protection personnelle, exerçant des métiers différents recevront les mêmes services en cas de lésion professionnelle. Seule la prime d’assurance sera adaptée aux risques couverts et au montant de protection demandé», dénote la porte-parole de la CSST, Geneviève Trudel.
Le Montréal Campus n’a pu obtenir les statistiques sur la fréquence d’accidents pour les artistes de cirque. La confidentialité des requérants était menacée. «Tous les travailleurs indépendants sont contraints de s’inscrire par eux-mêmes à la CSST, nuance Sophie Picard. Je ne pense pas que ce soit plus difficile pour un artiste de cirque que pour n’importe quel travailleur de la construction, par exemple.»
Après le noircissement des documents d’inscription, les acrobates arrêtent parfois les procédures quand ils constatent l’ampleur de leur cotisation. «Avec le peu d’offres que j’ai, je ne pouvais pas me permettre de verser de l’argent à la CSST. Elle demandait trop», critique David Fiset. Le montant exigé varie entre 2 et 12 $ par tranche de 100 $ de revenu. Avec un salaire annuel estimé par Emploi Québec à 36 000$ en 2005, les artistes autonomes, comme David Fiset et Sandrine Merette, se classent dans la moyenne québécoise.
Difficiles à atteindre
Les acrobates formés par l’École nationale de cirque reçoivent un cours sur la gestion de leur carrière où les enjeux de santé physique sont abordés. «Les écoles font ce qu’elles peuvent pour renseigner les jeunes, mais ça vient souvent en fin de parcours à un moment où ils pensent davantage à leurs performances finales», soutient la directrice générale du regroupement national du cirque En piste, Suzanne Samson. Pour informer davantage les artistes de cirque sur le fonctionnement de la CSST, le Conseil des arts de Montréal a présenté une première conférence intitulée «La CSST : ça vaut le coût», le 27 novembre dernier. En piste offre aussi un programme de formation continue payant depuis 2003 pour informer les travailleurs du cirque. Ce regroupement présente plusieurs ateliers sur la prévention des blessures et le démarrage d’une entreprise. «Jamais je n’ai été mise au courant du fonctionnement de la CSST. Une fois rendu à l’inscription, attache ta tuque parce que c’est pas clair», dénonce Sandrine Merette.
Plusieurs ressources sont mises à la disposition des artistes autonomes pour faciliter leur inscription à la CSST. «Nous informons régulièrement les employeurs de leurs responsabilités en rapport aux travailleurs autonomes, que ce soit par la publication de brochures, de rencontres d’associations d’employeurs ou encore par la participation à différents forums», indique Geneviève Trudel. La CSST revoit présentement son processus d’adhésion en ligne afin de faciliter l’inscription de toutes les clientèles de l’organisme, dont les travailleurs autonomes. «Les assurances sont un aspect très sous-estimé par le milieu du cirque, croit
Sandrine Merette. Il faudrait informer davantage les artistes.»
En dépit des problèmes financiers et physiques, David Fiset est toujours sans assurances. Comme plusieurs artistes autonomes, il chemine sur la corde raide.
Crédit photo: David Fiset
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