Humour et religion s’unissent volontiers sur les planches à dessin des caricaturistes québécois. Un mariage heureux dans la Belle province, qui a pourtant frôlé le divorce sur le vieux continent.
Tout le monde s’affaire dans la salle de rédaction du journal Le Devoir. Autour des écrans d’ordinateur et des téléphones qui ne cessent de sonner, des piles de dossiers s’entassent alors que les journalistes travaillent sur les articles qui paraîtront dans le journal du lendemain. Un peu à l’écart, dans une alcôve aux murs épinglés de photos et de dessins, se trouve le repaire du caricaturiste. Ces moutons noirs du journalisme griffonnent hidjab et kirpan, tributaires des sursauts de l’actualité. Que les susceptibles se tiennent loin.
À l’image de son espace de travail séparé de la salle de rédaction, les objectifs de Michel Garneau, alias Garnotte, diffèrent sensiblement de ceux des journalistes. «Le rôle du caricaturiste est de dédramatiser la situation, d’assainir l’affaire, de relativiser et de prendre de la distance, le tout avec humour. Il s’agit de présenter la situation en faisant rigoler et réfléchir en même temps», explique celui qui dessine pour le quotidien montréalais depuis 17 ans.
Ce matin-là, sur la planche à dessin de Garnotte, est née une Christine St-Pierre entourée de papier toilette, évoquant un hijab, sautillant dans l’Assemblée nationale. Quelques jours plus tôt, le chef du Bloc Québécois devenait l’ayatollah Paillé montrant la porte du parti à Maria Mourani pour s’être exprimée contre la Charte. «L’expulsion de Madame Mourani s’est faite de façon un peu totalitaire et la barbe de Monsieur Paillé se prêtait bien à ce genre de caricature», sourit Michel Garneau qui n’a eu aucun commentaire négatif suite à ce dessin.
Il est assez rare que le dessinateur reçoive des courriels de lecteurs mécontents des caricatures touchant au sacré. «Ça arrive de moins en moins souvent. J’ai eu quelques commentaires négatifs quand j’ai dessiné le Pape. Certaines personnes n’avaient pas trouvé ça rigolo», se souvient-il, évoquant un de ses dessins dans lequel Benoit XVI se retrouvait bâillonné par un condom comme «solution pour combattre le SIDA».
Pour Jean-Claude Breton, doyen à la faculté de théologie de l’Université de Montréal et Frère dominicain, les caricatures religieuses sont généralement bien reçues par la société québécoise. «Les Québécois sont assez friands d’humour. Il a toujours été admis que l’on puisse se moquer de la religion », explique le professeur en se rappelant les caricatures de son enfance. Soutanes de prêtres et coiffes de religieuses y étaient déjà joyeusement représentées. Yvon Roy, caricaturiste au Voir, admet quant à lui avoir déjà produit des dessins irrévérencieux envers le christianisme, sans que personne ne s’en formalise. Une caricature plus récente, mettant en vedette une panoplie d’employés du gouvernement aux croyances diverses clairement affichées, lui a toutefois valu des commentaires moralisateurs de la part des communautés ciblées.
La crise du crayon
Depuis quelques années, il est difficile d’aborder la caricature à motif religieux sans retrouver en filigrane la crise des illustrations de Mahomet en France. Ces dernières avaient entraîné des menaces de mort envers plusieurs dessinateurs occidentaux pour avoir représenté le Prophète de l’Islam. Pour Lélia Nevert, auteure du livre Caricatures de Mahomet entre le Québec et la France, cet épisode ne marque pas pour autant un tournant dans la façon d’aborder la caricature à motif religieux. «Il est clair que la place de la religion dans la société est au cœur des réflexions depuis ces dernières années, et le Québec connaît aujourd’hui un de ces grands débats qui marqueront son histoire. Je ne pense pas que les médias fassent preuve de plus ou de moins de liberté éditoriale que par le passé.» Elle note à ce sujet l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, connu pour son ton provocateur. Malgré plusieurs poursuites et un attentat perpétré contre ses locaux suite à la sortie d’un numéro intitulé Charia Hebdo en 2011, le journal n’a pas hésité à faire paraître cette année deux éditions hors-séries intitulées La vie de Mahomet sous la forme d’une bande-dessinée. Un choix éditorial risqué que tous les médias ne sont pas prêts à prendre. «Ça ne vaut pas la peine de faire des caricatures qui vont mettre des gens en danger. Bien sûr, il faut défendre la liberté d’expression, mais, à un moment donné, ce n’est plus notre terrain, ça devient celui du politique ou de la police», estime Garnotte, qui a fait le choix de ne pas dessiner Mahomet.
Le caricaturiste du Devoir ne se retient pas pour autant d’égratigner les membres du clergé qu’il considère comme des personnes en position d’autorité. Leurs uniformes, au même titre que ceux des militaires, présentent, selon lui, un visuel intéressant et propice à l’exagération. Pour Garnotte, il importe de distinguer les représentants religieux des croyances des individus. «Ce n’est pas mon boulot d’épingler quelqu’un pour ses croyances. Par contre, si son comportement devient ridicule, là, je ne m’en prive pas.»
Lélia Nevert estime de son côté que l’important réside moins dans ce dont on rit que dans la façon de le faire. «Peut-on rire de Dieu? s’interroge–t-elle en citant l’humoriste Sophia Aram. Oui, on peut le faire, mais à condition qu’il trouve ça drôle!»
crédit photo: Michel Garneau
Laisser un commentaire