Consacrer sa vie à une équipe sportive. Passer des soirées complètes à bricoler. Crier jusqu’à en perdre la voix en faisant résonner le métal des estrades. L’enthousiasme des fanatiques ultras mène toujours au but vainqueur.
Victorieux, les joueurs de l’Impact saluent les milliers de supporters ultras, en sueur dans la section 132 du Stade Saputo. Les loyaux partisans brandissent à chaque match leurs gigantesques bannières en hurlant leurs encouragements sans interruption. «Être ultra, c’est un mode de vie. Tu travailles pour faire de l’argent, et le soir tu oublies ton quotidien pour soutenir ton équipe et ta ville», lance le leader Francis Gadbois, alias Bob Rock, chargé d’initier les chants et de motiver les troupes. Depuis bientôt dix ans, l’hyperactif soutient l’Impact jusqu’à en perdre la voix… et vider son portefeuille.
Pour supporter l’Impact tout au long de l’année, Francis Gadbois économise tout l’argent de ses prestations d’artiste de cirque de rue. «Au début de la saison, il arrive souvent que j’achète mon billet de saison au lieu d’offrir un cadeau de Noël à ma mère», avoue-t-il. Malgré le succès qui l’assaille et les contrats qui s’offrent à lui partout à travers le monde, sa priorité reste l’équipe du Bleu-Blanc-Noir. «Je ne manque aucune game de l’Impact. J’ai récemment refusé un contrat dans les rues de Québec avec mon partenaire pour dépenser 300 $ et aller à New York voir l’équipe à la place!», raconte-t-il. Certains membres vont même jusqu’à mettre leur couple en péril pour continuer à s’impliquer ardemment dans les activités du groupe, d’après le leader.
Une telle passion implique que l’activité intègre l’identité de l’individu, avance l’étudiant au doctorat en psychologie sociale à l’UQAM, Jérémie Verner, pour expliquer la motivation des fanatiques sportifs. «L’individu qui est passionné par l’équipe va jusqu’à se définir par celle-ci. Il est un fan de l’Impact et en est fier», développe le spécialiste. Certaines personnes sont tellement investies dans l’activité qu’elles finissent par en perdre le contrôle, poursuit-il. Tout ce qui touche à son équipe de près ou de loin peut être perçu comme une menace à son identité. C’est ce qui pousse certains ultras à commettre des actes plus radicaux. «Mais avant qu’il y ait des rivalités violentes à Montréal comme c’est le cas en Europe, ça va prendre du temps. C’est une question de culture», objecte l’étudiant.
Sur le continent européen, il est coutume d’aller voler la bannière de l’autre club et de la brûler, alors qu’ici, le message passe davantage par les chants et des actions inoffensives, pense The Twelve, membre depuis deux ans du groupe ultra montréalais. Le fanatique donne pour exemple une prochaine bannière qui comparera les adeptes ultras torontois à des clowns. Il s’agit d’un clin d’œil à la rivalité Montréal-Toronto et à leur «infériorité» par rapport aux ultras montréalais.
Également membre des Ultras Montréal, Eric admet qu’il n’y a rien à signaler ici, mis à part quelques vols d’écharpes ou une poignée d’incidents sans gravité. Il dénonce d’ailleurs l’abus de pouvoir et l’attitude répressive des agents de sécurité des stades. «On applique le même genre de surveillance et de répression en Amérique du Nord que dans les pays où il y a de gros problèmes de violence entre les supporters», considère-t-il.
Les partisans, soumis à des règles sévères, se réclament donc entièrement indépendants des ligues et dénoncent la répression au moyen de bannières. Eric se questionne notamment sur les règlements interdisant les fumigènes. «C’est en nous forçant à les jeter par terre pour ne pas se faire prendre qu’il y a un danger, vu qu’ils ne peuvent être contrôlés une fois au sol.» Le directeur des communications du Stade Saputo, Patrick Vallée, souligne la relation harmonieuse que le Stade entretient avec les ultras, mais rappelle qu’ils doivent respecter les règlements du complexe. «Ce que nous voulons, c’est continuer d’avoir une belle relation avec eux, mais ça doit aller dans les deux sens, affirme- t-il. Nous nous assurons de leur sécurité comme de celle des autres partisans.»
Rejetant l’étiquette de trouble- fête qui est souvent donnée aux ultras québécois, Francis Gadbois compare plutôt le groupe à un camp de vacances. «On porte le même T-shirt, on chante des chansons et on passe nos fins de semaines à faire du bricolage dans les sous-sols d’église!», ironise-t-il.
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Bâton contre ballon
Si la violence des ultras montréalais paraît plus diffuse qu’ailleurs dans le monde, elle se manifeste davantage au soccer qu’au hockey, d’après Olivier Bauer, auteur et théologien spécialiste du fanatisme au hockey en tant que religion. «Le partisan de l’Impact debout au stade Saputo serait plus exubérant et plus démonstratif que celui du Canadien assis au Centre Bell», observe-t-il. La disposition des fans et la météo joueraient un rôle dans l’énervement des partisans, comme la violence sur le terrain. «Les parti- sans du Canadien se nourriraient de la violence des joueurs et seraient ainsi rassasiés à la fin de la rencontre», propose-t-il afin d’expliquer l’absence de groupes rivaux au Centre Bell. C.P.
Crédit Photo: Frédéric Emond
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