Une chaire qui vaut son pesant d’or

L’ancien dirigeant d’une minière canadienne souhaite offrir son appui financier à la création d’une chaire de recherche en géologie. Un don qui soulève bien des questions au sein de la communauté uqamienne.

Une donation de 500 000 $ à la Fondation de l’UQAM fait réagir avant même d’avoir été officiellement encaissée. Le magot qui serait extrait à même les poches de Robert Wares, président-fondateur de la minière canadienne Osisko, soutiendrait la création d’une chaire de recherche-innovation en géologie de l’exploration minière. Un élan philanthropique dénoncé par certains qui y perçoivent plutôt une atteinte à l’indépendance de la recherche universitaire. Irrité par la critique, l’homme d’affaires remet désormais en question son intérêt face au projet.

Le projet de création de la chaire de recherche, appuyé par le directeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, Enrico Torlaschi, a reçu l’aval du Conseil académique facultaire des sciences de l’UQAM le 19 décembre dernier. Le nom «Osisko» avait alors été introduit à même l’intitulé de la Chaire. «Une erreur grossière», selon l’étudiant à la maitrise en sciences de l’environnement, Luc Chicoine. Celui qui siège également à la Commission des études de l’Université a été le premier à décrier la situation dans le journal étudiant de science politique et droit, Union Libre. «Je voulais faire un peu de pression avant que le projet arrive sur la table de la Commission. En informant à l’avance les gens qui y participent, je savais que le message allait passer», raconte-t-il. Composée de professeurs, de chargés de cours et d’étudiants, cette instance de l’UQAM émet des recommandations liées à l’enseignement et à la recherche au Conseil d’administration. Si le projet de Chaire ne réussit pas à obtenir son appui, il est peu probable qu’il voit le jour.

Les propos véhiculés dans Union Libre pourraient bien avoir mis des bâtons dans les roues du projet. Depuis la parution du texte de l’étudiant, le fondateur d’Osisko et l’actuel président de l’Ordre des géologues du Québec Robert Wares a remis en question sa participation au financement du projet de recherche. Déçu des propos de l’étudiant Luc Chicoine, le professeur Enrico Torlaschi tente désormais de limiter les dégâts auprès du philanthrope. «Ça a refroidi brutalement les ardeurs de monsieur Wares», indique-t-il, évasif sur le maintien de la contribution de l’homme d’affaires. Le professeur affirme que le nom Osisko n’aurait jamais dû apparaître dans le titre de la future chaire de recherche. «C’était une simple erreur de procédure, assure-t-il. Le Conseil académique n’a pas prêté attention à l’intitulé de la chaire, mais davantage à son contenu de recherche.» Peu après la parution de l’article, les membres du comité ont décidé de rectifier le tir en s’assurant que le projet ne fasse mention d’aucun donateur.

Pour Luc Chicoine, le débat n’a pas été jeté aux oubliettes pour autant. Selon lui, un financement privé de la recherche entièrement désintéressé passe obligatoirement par la confidentialité du donateur. Des montants anonymes, l’UQAM en reçoit d’ailleurs chaque année à hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars. Lorsque le montant du don excède 25 000 $, un protocole d’entente peut être signé avec la Fondation de l’UQAM. La façon dont l’argent est dépensée y est inscrite et décidée en accord avec le donateur. Ce dernier peut également faire la demande afin que son nom apparaisse dans le titre du projet financé. «Ce modèle de philanthropie pousse les universités à adapter les programmes d’études à ce que les entreprises veulent», déplore Luc Chicoine. Aucune entente de ce genre n’a encore été signée avec le philanthrope Robert Wares, puisqu’il ne s’est engagé que verbalement face à l’UQAM. Dans une réplique publiée dans Union Libre, il souligne que seulement 20 % de son don proviendrait de l’entreprise privée. Les protocoles d’entente sont signés par le donateur, signés et le vice-recteur à la recherche et à la création et ensuite révisés par les services juridiques de l’UQAM. Pour la directrice générale de la Fondation de l’UQAM, tout est donc en place pour assurer l’indépendance de la recherche. «La nature même d’un don, c’est sa gratuité. Il n’y a donc pas de retour, ni direct, ni indirect», assure-t-elle.

Arrimage économique

Si rien n’est encore coulé dans le béton, le co-auteur du livre Université Inc., Éric Martin, y voit tout de même une aberration. «C’est comme si Lino Zambito finançait une chaire de recherche sur la corruption, lance-t-il d’emblée. Le non-sens saute aux yeux.» Pour le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, des collaborations comme celle qu’entamerait l’UQAM avec Osisko, il en éclot aux quatre coins du Québec. Il affirme que le contexte politique actuel favorise la dissolution des frontières entre les universités et les entreprises. La recherche indépendante et fondamentale reste, à son avis, la grande perdante. «Si une compagnie minière finance une telle chaire, qui sera alors le chien de garde du questionnement critique de l’extraction minière», se questionne-t-il, perplexe.

De son côté, Diane Veilleux, directrice générale de la Fondation de l’UQAM, n’y voit pas de contradiction. «Il y a très peu de donation qui sont faites en géologie. Il était certain qu’il fallait aller chercher un partenaire dans ce domaine pour financer ce type de chaire.» Même si 40 % des géologues du Québec sont formés entre les murs de l’UQAM, Enrico Torlaschi confirme que l’argent n’abonde pas pour autant. «Nous devions être plus actifs quant au des financements d’envergure et c’est pour ça qu’un professeur du Département a établi un contact avec le fondateur d’Osisko», explique-t-il. Il rappelle que Robert Wares a déjà fait des dons à l’Université Laval et à l’Université McGill.

Avec ou sans le soutien financier de Robert Wares, le Département des sciences de la Terre et de l’environnement se doit de débusquer un financement à hauteur de 500 000 $ d’ici trois ans. «S’il n’y a pas de donation d’ici là, la chaire de recherche restera à l’état de projet», affirme Enrico Torlaschi, visiblement découragé.

 

Crédit photo: Flickr Doug88888

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