Mélodies virtuelles

Symphonies singulières, la musique de jeux vidéo fait partie intégrante des aventures virtuelles et en composer n’est pas à la portée de tous.

Au dixième étage d’un édifice à bureaux qui donne une vue imprenable sur le centre-ville de Montréal se dresse l’immense local à aire ouverte de la firme française Gameloft. Des ordinateurs s’étendent à perte de vue et, concentrés derrière leur écran, les travailleurs s’affairent tous à la création et à la conception de jeux vidéo. Un peu en retrait, de petits studios de création musicale sont placés côte à côte. C’est là que les premières mélodies des jeux prennent forme. Ce secteur particulier de l’industrie du jeu virtuel est complètement différent de ce qui se fait pour le cinéma et la télévision. Au-delà de la musique, c’est toute la sphère sonore qui entre en ligne de compte. Les maestros de la manette cherchent plus que jamais à jouer le jeu.

La musique de jeux vidéo doit être interactive, c’est-à-dire qu’elle doit s’adapter au moindre événement qui survient durant la partie, selon le compositeur chez Gameloft Maxime Goulet. «Écrire de la musique de jeux vidéo, c’est très différent des autres compositions, car ce n’est jamais la même chose qui se passe dans le jeu.» La mélodie doit être composée de manière à ce qu’elle reste harmonieuse même lorsqu’elle est coupée puis rejouée dans le désordre, afin de s’accorder à chaque mouvement des personnages. Le jeune compositeur explique qu’il prévoit donc une option mélodique différente dépendamment si le personnage reçoit un coup, tombe ou est éliminé.

«C’est un challenge à chaque fois, parce qu’il faut composer selon une structure arborescente et non linéaire. Il doit y avoir une cohérence dans la musique», poursuit Maxime Goulet. Ce processus de création diffère complètement de celui adapté à la trame sonore d’un film, qui fonctionne justement de manière linéaire. Dans ce cas, le compositeur conçoit sa chanson de manière à ce qu’elle soit jouée en continu et qu’elle  s’arrime avec un ou plusieurs moments dans le film. Le tout est bien défini d’avance pour exprimer une tension dramatique.

Mathieu Lavoie, qui enseigne la composition musicale adaptée aux jeux vidéo à l’Université de Montréal, compare la méthode de composition pour les jeux à un «casse-tête». Il signale cependant que la recette ne date pas d’hier. «Beethoven faisait ça. Il composait des partitions, puis mélangeait les séries de notes pour voir ce que ça donnerait en les replaçant différemment». Le but ultime pour le compositeur est que son œuvre puisse transporter le joueur dans le monde de son jeu. «Ça doit être immersif, de sorte que celui qui joue ne veuille plus quitter le jeu», ajoute pour sa part Maxime Goulet.

Euphonies particulières

Contrairement à la bande sonore d’un film, il y a dans les jeux des trames de fond qui résonnent en continu. Ces créations rythmiques varient selon le type de jeu. «Un jeu de course ne nécessitera pas les mêmes ressources musicales qu’un jeu de guerre», illustre le directeur musical chez Gameloft, Mathieu Vachon. Les compagnies ont recours à des banques de sons et peuvent aussi acheter des droits sur des chansons qui existent déjà pour compléter leurs démarches de création sonore.

Selon les besoins, la mélodie est faite à l’ordinateur  avec des instruments virtuels ou enregistrée par de vrais musiciens, voire d’un orchestre complet. C’est le cas du jeu Rainbow 6, d’Ubisoft, dont la trame sonore a été enregistrée à Montréal par des musiciens locaux.  Le directeur musical de Gameloft mentionne toutefois qu’il est rare que sa compagnie fasse affaire avec un orchestre, étant donné l’importance des coûts impliqués.

La boîte française fait d’ailleurs bande à part en matière de composition musicale pour ses jeux. Elle compte une équipe de création sonore d’une trentaine de personnes dont 17 compositeurs à l’interne au bureau de Montréal. Dans l’industrie, cette pratique n’est pas légion. La plupart des compagnies engagent plutôt des pigistes pour les aspects musicaux. D’autres emploient une équipe beaucoup plus petite, comme chez Frima Studio de Québec, où deux personnes à temps plein s’occupent du contenu et de la gestion sonore. Les autres travaillent sur appel.

Au total, Mathieu Vachon évalue que l’aspect musical ne représente que 5% du processus créatif total d’un jeu vidéo. Si la musique est primordiale, l’ensemble de la facture sonore influence l’expérience de jeu. Un concepteur sonore, par exemple, veille à ce que non seulement la mélodie, mais également les bruits et les voix de narration soient intégrés au jeu.

La confiance de Mathieu Vachon pour le développement de la profession au Québec est palpable. À l’entrée de l’immense salle de Gameloft, il jette un regard satisfait sur son équipe, avant de retourner à ses compositions.

Illustration : Émilie Drapeau

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