Naître dans l’illégalité

spermatosFemme cherche femme en santé pour don d’ovules. Récompense généreuse. Plusieurs femmes se tournent vers le marché noir pour pouvoir enfanter.

Le 5 août 2010, les services de procréation assistée entraient officiellement dans la catégorie des soins couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Depuis, le nombre de couples québécois y ayant eu recours n’a cessé de croître. Cette demande grandissante pour des donneurs de sperme ou d’ovules a non seulement fait grimper le chiffre d’affaires des cliniques de fertilité, mais a également contribué à l’essor d’un tourisme reproductif.

Au moment d’entreprendre son processus de procréation assistée, Sylvie était âgée de 45 ans. Or, depuis 2010, les cliniques de fertilité québécoises n’offrent plus la fécondation in vitro (FIV) aux femmes de plus de 43 ans. Les chances de réussite sont jugées trop minimes.  On m’a mise à la porte», raconte-t-elle avec amertume. Sur le site de la clinique OVO, il est précisé que «la seule alternative thérapeutique offerte à ces patientes sera le don d’ovocytes, et ce jusqu’à l’âge de 51 ans et 11 mois».

La notion de don «altruiste» est apparue en 2004, avec la mise en vigueur par le gouvernement canadien de la Loi sur la procréation assistée (LPA). La LPA stipule qu’il est interdit «d’acheter ou d’offrir d’acheter des ovules ou des spermatozoïdes à un donneur». Bien qu’il puisse se faire rembourser les dépenses liées à son don, comme les dépenses de stationnement, par exemple, le donneur n’est pas rémunéré. «Cette loi canadienne a quasi fait disparaître les banques de sperme au Canada. Et pour ce qui est des banques d’ovules, elles sont carrément inexistantes», déplore la directrice des opérations chez OVO, Carole Rhéaume. Durant cette même période, la prise en charge des coûts liés à la procréation assistée par la RAMQ a fait tripler les activités d’OVO.

Une femme en quête d’ovules comme Sylvie, qui ne connaît personne de son entourage prêt à faire un don, n’a donc qu’une solution: acheter des gamètes à l’étranger. «Nous conseillons à nos clientes de faire affaire avec Élite. C’est une clinique qui a accès à des banques de donneuses», affirme Carole Rhéaume.

Élite est une clinique de fertilité mexicaine très prisée par les couples québécois en quête de donneuses d’ovules. Ces dernières sont très nombreuses au Mexique, la rémunération associée à un don d’ovocytes y étant non seulement permise, mais aussi très généreuse. Selon les propos recueillis en 2007 par l’équipe d’Enjeux, la rétribution peut aller jusqu’à 2 000 $, ce qui équivaut à plusieurs mois de salaire. Pour le docteur en droit et professeur à l’Université de Montréal Alain Roy, ce tourisme procréatif soulève des questions éthiques importantes. «Quand des couples québécois vont dans des pays sousdéveloppés et demandent à une femme de milieu socio-économique très défavorisé d’agir comme donneuse ou mère porteuse, il s’établit un rapport de servitude humaine très dérangeant », dénonce-t-il avec véhémence.

Si plusieurs couples font le choix de se rendre à l’étranger, ce n’est pas la majorité d’entre eux qui en ont les moyens. Les Québécois qui quittent le pays pour avoir recours à la procréation assistée s’engagent à débourser eux-mêmes les dépenses liées aux soins reçus, la RAMQ ne couvrant pas les opérations effectuées à l’extérieur de la province.

«Les gens sont désespérés et il y en a qui n’ont pas de sous pour aller acheter des gamètes aux États-Unis. Ça crée alors un marché noir», déplore Carole Rhéaume. L’annonce publiée par Sylvie il y a quelques mois en est une parmi tant d’autres. Bien que cette dernière affirme n’avoir «jamais trouvé de don d’ovules», ce qui aurait été illégal, plusieurs personnes offrent leurs services comme donneurs en échange d’une rémunération. «Il y a beaucoup d’offres sur Internet, mais ce n’est pas encadré. Tu ne sais pas avec quoi tu te ramasses. Des inséminations à la maison, ça se voit, et c’est extrêmement dangereux», dénonce Carole Rhéaume.

Contrevenir à la Loi sur la procréation assistée est un crime grave qui peut mener à une peine d’emprisonnement maximale de dix ans et/ou à une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 $. Toutefois, très peu de donneurs illégaux et d’acheteurs de gamètes, comme Sylvie, se font accuser. «À l’heure actuelle, il y a un vide juridique à ce niveau-là. C’est une chose de pouvoir intervenir sur une annonce, mais c’en est une autre d’intervenir sur une pratique privée», explique le professeur Alain Roy.

Ce vide, le gouvernement Harper cherche actuellement à le combler à travers son tout nouveau projet de loi mammouth. Ce dernier comporte une clause prévoyant que le sperme d’un donneur soit obligatoirement mis en quarantaine. «Comment vont-ils faire pour contrôler ce mécanisme privé qui se fait dans l’intimité?, se questionne Alain Roy. On peut être très vertueux et continuer d’établir des standards, mais s’ils peuvent être contournés facilement, il est peut-être temps de rebrasser nos cartes.» Pendant que le marché noir continue de se développer au Canada, aucune loi internationale ne règlemente le tourisme reproductif. Comme quoi le paquet peut être long à brasser.

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Les différentes techniques de procréation assistée
L’induction de l’ovulation : Une grande partie des problèmes d’infertilité sont liés à un déséquilibre hormonal responsable d’un trouble de l’ovulation. Ainsi, le suivi de l’induction de l’ovulation est souvent le traitement initial de l’infertilité. Il consiste généralement en une prise de médicaments favorisant l’ovulation. Ce traitement précède généralement l’insémination artificielle et la fécondation in vitro.

Insémination artificielle : Ce type de traitement est généralement précédé de l’induction de l’ovulation. Ainsi, l’ovulation est déclenchée par médication puis, 36 heures plus tard, le sperme du conjoint (ou celui d’un donneur) est inséminé à l’intérieur de l’utérus de la femme, directement par le col.

Fécondation in vitro : C’est la reproduction, en éprouvette, du processus naturel de fécondation et des premières étapes du développement de l’embryon. Les ovules produits grâce aux inducteurs d’ovulation (ou, de rares fois, naturellement) sont recueillis directement chez la femme et sont conservés en laboratoire. Le même jour, ils sont mis en contact avec les spermatozoïdes du conjoint.

Don d’ovules : Le don d’ovules est nécessaire pour les femmes d’un âge avancé ou en ménopause prématurée, celles qui présentent un risque élevé de transmission de maladie génétique ou encore celles ayant subi une perte ou un déclin de la fonction ovarienne.

Illustrations: Lisa Traversy

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