Dur dur de grandir

Le jour où le téléphone ne sonne plus et que les projecteurs s’éteignent, le retour à la vie normale est souvent brutal pour les enfants qui ont œuvré dans le milieu artistique.

«Maman je veux être dans la télé!» À quatre ans, voilà ce qu’a demandé tout bonnement Steve Gendron à sa mère en revenant de l’école. Par chance, une école de théâtre, danse et chant venait d’ouvrir dans la région de Shawinigan, où il habitait. Dès son entrée, les professeurs ont détecté chez lui un certain talent, si bien qu’ils lui ont proposé de passer des auditions à Montréal. Les allers-retours dans la métropole allaient se multiplier. Il restera sur son nuage durant près de  quinze ans: tapis rouges, ovations, films et séries à succès, voyages, tout y est… Jusqu’à ce que subitement, plus rien. Le choc a été brutal.

De quatre à neuf ans, il a participé à beaucoup de publicités. Il a ensuite obtenu le rôle principal dans le film La postière de Gilles Carle, sorti en 1992. «Quand la première du film s’est terminée à la Place des Arts, quand ils ont nommé mon nom, il y a eu comme un 25 minutes d’ovation. Ça a parti là», se souvient-il, sourire en coin. Bien en selle, il a ensuite enchaîné les rôles les uns après les autres dans Matusalem I et II, tournés à Cuba, Le club des 100 watts, Omertà, Au nom du père et du fils. «C’est sûr que ça a été une vie assez mouvementée», reconnaît-il aujourd’hui. L’école en a d’ailleurs pris un sérieux coup, à cause de trois, quatre mois d’absence par année. «Les examens du ministère, je faisais ça au mois de juillet. La direction devait comprendre ça, sinon tant pis», indique-t-il.

Jessica Barker et Olivier Loubry, qui ont eux aussi commencé leur carrière artistique très jeune, ont entamé des démarches au sein de l’Union des artistes pour que leur syndicat encadre mieux cette pratique. Pour eux, il est impératif que les enfants acteurs restent à l’école le plus longtemps possible. «L’école valorise quasiment que l’enfant s’absente, car les professeurs se disent “ah c’est pas grave il fait de la tv”», mentionne Olivier Loubry. Selon la professeure de psychologie à l’UQAM et spécialiste de la motivation scolaire, Thérèse Bouffard, les parents doivent montrer à leurs enfants à bien faire la part des choses entre leur rôle d’acteur et celui d’élève. «Ils doivent leur transmettre l’idée qu’ils sont avant tout des élèves, et que les apprentissages scolaires doivent être la priorité, même s’ils font des tournages.» Olivier Loubry mentionne toutefois que dans certains cas, le parent oublie son rôle tellement il admire le talent de son enfant. «Le problème souvent, c’est que les parents vivent un rêve à travers leurs enfants. C’est comme le père qui aurait voulu être joueur de hockey qui pousse son fils au max même si le petit gars ne veut pas trop», se désole-t-il. Steve Gendron assure que ça n’a pas été son cas et que l’encadrement était adéquat. Ses parents ont fait leur possible, car eux aussi découvraient d’une autre façon le milieu artistique en même temps que lui. «Ils ne savaient pas ce que c’était, alors je ne pouvais pas leur en vouloir, ils ne connaissaient rien», soutient le comédien.

La vie après les projecteurs

À 20 ans, après des années passées sous les feux de la rampe, Steve Gendron s’est retrouvé acculé au pied du mur. Le téléphone ne sonnait plus, les rôles et les auditions avaient cessé, c’était la stupéfaction totale. «J’ai crashé, j’ai sombré, j’ai fait une grosse dépression, car je me sentais très seul, abandonné du milieu», évoque-t-il en replongeant dans son passé. Pendant plusieurs mois, il a consommé cocaïne et alcool. «J’avais perdu mes repères. J’ai voulu découvrir ma véritable identité. J’ai explosé puis j’ai exploré», ajoute-t-il. Avec le recul, il reconnaît maintenant que les rôles ont cessé de se présenter à partir d’un certain âge, car il ne cadrait plus avec le casting qu’on lui connaissait, celui d’un enfant et d’un adolescent. Malgré tout, ses parents l’ont laissé continuer pendant toutes ses années, car leur fils carburait à jouer la comédie. «Ma mère m’a déjà dit que je me levais à quatre heures du matin quand il fallait qu’on parte à six heures tellement j’avais hâte d’y aller», raconte-t-il.

Steve Gendron n’est pas le seul à avoir connu des difficultés à la suite de son passage à un très jeune âge sous les projecteurs. D’après une étude américaine, 90% des artistes qui ont commencé leur carrière durant leur enfance ont eu des problèmes personnels divers à l’âge adulte. Pour le psychologue Marc Doucet, ce dur retour à la réalité découle du  fait que l’enfant vedette garde longtemps la même perception par rapport à lui-même. «La personne a de la difficulté à quitter l’enfance, car elle a toujours été survalorisée durant cette période. L’arrivée à l’âge adulte est alors plus difficile», précise-t-il. Selon le psychologue, la personne doit alors se reconstruire en ayant une vision plus juste d’elle-même, qui ne se base pas uniquement sur la forte reconnaissance, voire l’adulation des autres.

À 31 ans, Steve Gendron, n’a jamais perdu le plaisir de jouer. Il assure qu’il aurait d’ailleurs beaucoup de difficulté à quitter le milieu artistique pour de bon. C’est pourquoi il dirige maintenant une école de formation d’acteurs, afin de transmettre ses connaissances et sa passion à d’autres, enfants comme adultes.

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Rares sont les acteurs qui poursuivent leur carrière entamée durant l’enfance à l’âge adulte et qui y sont aussi actifs. Karine Vanasse, la nouvelle Maxim Bouchard de 30 Vies, en fait partie, mais demeure une exception en la matière. Selon elle, d’avoir eu sa mère comme agente pendant plusieurs années l’a beaucoup aidée à être encadrée et à perdurer dans le milieu. «Elle m’a en quelque sorte protégée, car c’est un danger de trop travailler jeune, ce qui fait que j’ai été capable de développer ma vie à l’extérieur de ce métier-là», dit-elle. Elle reconnaît que de 21 à 25 ans, elle jouait moins, sans s’en inquiéter pour autant.  «J’y ai vu une nouvelle étape. Adulte, tu ne peux pas t’attendre au même statut que lorsque tu étais jeune où les rôles venaient à toi. Il faut recommencer en allant chercher les opportunités», ajoute-t-elle.

Crédit photo : Fifi LePew sur Flickr

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