Maman ou l’histoire d’une néophyte sceptique

Êtes-vous allé en banlieue récemment? Vous savez, là où le gazon pousse toujours égal, là où les piscines hors terre jalonnent sans grâce les haies de cèdres et les clôtures de broche? Vous savez, la banlieue, cette antichambre culturelle?

Eh bien, j’y étais l’autre jour, en banlieue, quand j’ai eu l’envie inopinée d’aller voir un film au cinéma. «Un bon film là, pas un film français ou un film de répertoire», m’a fait savoir ma tendre mère, insistante. «Ben non, ben non, m’man. C’est beau, on va aller voir quelque chose de très mainstream, t’inquiètes», que je lui ai répondu, un peu blasée. Alors nous sommes parties «dans un cinéma près de chez nous» pour aller voir L’affaire Dumont. Mais L’affaire Dumont n’était pas à l’affiche «dans un cinéma près de chez nous». Et par chez vous?

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Les petits cinémas de banlieue, tout comme en région, sont en quelque sorte captifs de la marchandisation de la culture. Clairement, le problème est le suivant : les gros films hol- lywoodiens – qui évidemment rapportent les gros sous – viennent la plupart du temps en package deal avec un ou deux navets. Par exemple, pour avoir le dernier Resident Evil, les cinémas pourraient être obligé présenter L’Enlèvement II et La maison au bout de la rue. Exit L’affaire Dumont, donc. Il n’y a plus de place pour le présenter. Et ma mère et moi sommes retournées à la maison bredouille.

Ce qui est dommage, outre le fait que je n’aie toujours pas vu la dernière réalisation de Podz et que ma sortie familiale a ainsi été gâchée, c’est que le cinéma d’ici, encore, écope. Ce cinéma si beau, si fragile, si diversifié, si sous-financé. Ce ci- néma québécois qui plonge dans notre réalité, qui trouve ses inspirations dans l’essence même de nos valeurs communes. C’est ce cinéma qui subit les contrecoups de ces pratiques de marketing douteuses.

Il me semble que, dans la mesure du possible, les films québécois devraient être projetés en priorité dans nos cinémas, à Montréal autant qu’à Delson ou à Joliette. Question de donner un petit coup de pouce aux artisans qui nous font honneur avec des productions audacieuses et originales (pas L’Empire Bo$$é, on s’entend).

Les cinémas devraient diffuser les créations d’ici, surtout lorsqu’il s’agit d’un film accessible, comme L’affaire Dumont. Le genre de divertissement que ma chère mère réussit à apprécier. C’est ce genre de film juste assez mainstream qui, au cours des dernières années, a ouvert toutes grandes les portes de la cinématographie québécoise aux néophytes sceptiques.

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En fin de compte, il faut réaliser que nous, consommateurs, avons le gros bout du bâton. Sur le chemin du retour, je disais justement ça à ma douce mère: si les néophytes sceptiques arrêtaient d’aller voir des films de crottes comme La maison au bout de la rue, peut-être bien que L’affaire Dumont serait diffusé dans un cinéma près de chez nous. «Ça me divertit, les films de crottes», a rétorqué ma sage génitrice. J’ai donc dû avouer que le problème est effectivement plus fondamental qu’un simple choix de consommateur. Il faudrait changer en profondeur les mentalités, ouvrir l’esprit du Québécois moyen afin qu’il s’intéresse davantage à la culture de chez nous, qu’il réalise que ce qu’on créer ici peut être étonnant, voire appréciable.

Pour ce faire, j’imagine qu’il faudrait laisser le gazon jaunir un peu dans les petites banlieues…

Audrey Desrochers
Chef de pupitre Culture
culture.campus@uqam.ca

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