Oubliez le Taj Mahal et la tour Eiffel, faites place aux Catacombes et Ground Zero. En quête de morbide, les adeptes de tourisme noir prennent d’assaut l’industrie touristique.
Quelques coups résonnent au plafond du Château Ramezay dans le Vieux-Montréal. C’est sûrement Madame O’Dowd. Morte noyée, elle se plaît à hanter les lieux depuis maintenant des années. Mythe ou réalité? Aucune importance pour les amateurs de tourisme noir, qui se délectent de ce genre d’histoire funeste.
Le tourisme noir fait timidement sa place dans le paysage touristique montréalais. «Ce nouvel aspect du voyage vient d’abord de la commémoration des grandes guerres, explique d’emblée Martin Drouin, professeur à l’UQAM au département d’études urbaines et touristiques. On va visiter les endroits où sont morts des gens. On veut voir, par une sorte de curiosité, ce que l’humain est capable de faire.»
Les tours offerts par la compagnie Fantômes Montréal s’inscrivent dans ce type de tourisme en vogue, mais restent tout de même bien inoffensifs en termes de terreur macabre. «On est vraiment des bébés dans la tendance du tourisme noir, on n’est même pas gris foncé! explique en riant Louise Hébert, présidente de Fantômes Montréal. Pour quelqu’un qui veut vraiment des histoires sanglantes, on organise par exemple un tour où les gens partent à la rencontre de criminels historiques.»
Le désir de sortir des sentiers battus est une des principales motivations des touristes du lugubre. Sans être une passionnée du tourisme noir, Isabelle Renaud a trouvé par l’entremise des tours de Fantômes Montréal un moyen original de découvrir la ville et ses coins sombres d’une façon différente. «C’est un point de vue unique sur l’histoire de Montréal, c’est plus divertissant qu’un simple tour de faits historiques vérifiables.» Pourtant, la clientèle du tourisme noir est généralement avide de faits véridiques, de vrais sinistres. Louise Hébert nourrit donc ses touristes de réelles histoires de crimes et de fantômes. «La plupart de nos histoires sont écrites par des gens qui sont au bureau, mais sont basées sur du bouche-à-oreille, sur d’authentiques témoignages d’apparitions paranormales ou de crimes violents.»
Ailleurs, ce qu’on appelle le dark tourism gagne de plus en plus d’adeptes, motivés à explorer la mort pour différentes raisons. «Le tourisme noir est une grande catégorie qui inclut beaucoup de choses, notamment la volonté et le besoin de visiter des endroits traumatiques», clarifie Martin Drouin.
Être attiré par le tourisme noir ne signifie toutefois pas d’avoir une fascination pour le funeste. «D’une certaine façon, on est tous un peu attirés par la mort. Je pense que ce genre de tourisme est réservé aux gens qui aiment comprendre l’humain, qui veulent aller au bout des choses», soutient Sarah-Maude Cousson-Despot, étudiante en histoire de l’art et adepte de ce genre d’aventure touristique.
Au-delà du morbide
Bien qu’il soit surtout basé sur l’attrait de la mort, le tourisme noir trempe aussi un peu le pied dans le paranormal, ce qui peut en faire sourciller quelques-uns, comme le porte-parole de l’Association des sceptiques du Québec, Pierre Cloutier. Plutôt ambivalent quant à la question, il ne condamne pas d’emblée les adeptes du paranormal. «Les fantômes, c’est un peu comme Dieu. On peut y croire, mais leur existence n’est pas prouvée.»
Sarah-Maude Cousson-Despot croit pour sa part que l’esprit scientifique est nécessaire pour apprécier le tourisme noir à sa juste de valeur. «Il faut avoir envie de comprendre pourquoi, où, comment, qui?, avance t-elle. Il faut être quelqu’un d’équilibré pour aimer ça, juste assez émotif pour sentir l’ambiance de l’endroit, et juste assez rationnel pour comprendre la signification de l’endroit.»
Pour Martin Drouin, la hausse en popularité du tourisme noir nous apprend beaucoup sur le genre de société dans laquelle nous vivons. «Sa popularité plus ou moins grandissante accompagne aussi le niveau de violence dans notre société. On a une curiosité pour le morbide motivée par notre exposition constante à la violence.» Que ce soit le reflet d’un certain masochisme ou encore d’une curiosité malsaine, le tourisme noir fascine. «Ces lieux-là sont un peu comme hantés et ont gardé un peu l’essence de l’horreur, avoue Sarah-Maude Cousson-Despot avec candeur. Étant donné que c’est souvent des endroits où l’humain était à son pire, on dirait parfois que le pire est resté là.»
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Petit tour du tourisme noir
Au Canada, c’est surtout l’histoire de la colonisation qui nourrit le tourisme noir. Cypress Hills, en Saskatchewan, où s’est déroulé un massacre amérindien, la rivière Rouge au Manitoba, lieu de rébellion de Louis Riel, et Grosse-Île au Québec, où des milliers d’immigrants ont été mis en quarantaine, sont des lieux de prédilection pour les touristes. Ailleurs dans le monde, le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau en Pologne,l’ancienne prison de Phnom Penh au Cambodge, la région encore radioactive de Tchernobyl, en Ukraine et Ground Zero, site du feu World Trade Center aux États-Unis, remportent la palme des destinations macabres
Crédit photo: Joshua Veitch-Michaelis, Flickr
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