Baume sur les cicatrices de plusieurs artistes amérindiens, l’art est aussi un impétueux catalyseur pour leur culture.
Assis sur un tabouret de bois en plein cœur du centre-ville, un jeune homme enfile minutieusement des perles grises sur des fils tendus à un métier à tisser. Non loin de là, une dame dans la force de l’âge fait de même. Nadia Myre, artiste amérindienne, arpente quant à elle la place publique exiguë pour aider les participants qui contribuent à l’une de ses œuvres futures. Ce n’est pas la première fois qu’elle travaille de la sorte. Pour son œuvre Indian act, qui vise à garnir de perles la loi sur les Indiens, l’artiste avait fait appel à de nombreuses personnes.
L’art joue un rôle fondamental dans toutes les sociétés selon Guy Sioui Durand, un Huron wendat qui habite Wendake, près de Québec. Pour lui, l’art amérindien a une fonction particulière sur les premières nations: il favorise la cicatrisation. «Il faut se souvenir de la loi sur les Indiens, de la conquête, de la mise en réserves et des nombreux problèmes sociaux», confie dans un souffle le docteur en sociologie de l’art. L’homme à la barbe grise et aux cheveux ébouriffés soutient que l’imaginaire et les idées véhiculées à travers l’art amérindien peuvent favoriser un bien-être collectif et communautaire. Discours analogue chez Anaïs Janin, la coordonnatrice d’Artial, un groupe voué à la promotion de l’art autochtone. «Pour les jeunes autochtones, l’art c’est une redécouverte de soi», explique-t-elle. Au-delà de la quête identitaire inhérente à la démarche artistique, c’est dans l’expression que l’art puise sa force. «Les autochtones peuvent réaffirmer leur parole via le hip-hop, par exemple.»
Maurizio Gatti, auteur du livre Être écrivain amérindien au Québec, stipule pour sa part que l’art autochtone ne doit pas être réduit qu’à son aspect curatif. «Les artistes amérindiens peuvent parler des problèmes qu’ils ont vécus, mais ils s’inscrivent dans l’art comme n’importe qui.» Pour le docteur en littérature québécoise, l’art est un lieu de liberté. Il refuse de lui imposer un carcan. «Un artiste peut très bien faire une toile qui lui rappelle un moment difficile de sa vie et une autre sur un sentiment qui n’a aucun rapport, élabore Maurizio Gatti. C’est la même chose pour les Autochtones.»
Planche de salut
Une à une, les perles prennent place pour former des lignes, et puis des pages complètes. Les participants usent de leur flegme. Nadia Myre, pour qui la communauté fait partie d’une démarche artistique, en profite pour deviser avec les participants.
Les langues autochtones sont en perdition, s’accordent pour dire les experts. L’art peut, selon eux, permettre de perpétrer la culture amérindienne. «L’art est selon moi la seule avenue pour sa survie», avance sans hésiter Guy Sioui Durand. Se levant d’un bond, il sort de son sac à bandoulière une chemise noire lignée brun, rouge et bleu, qu’il porte lors de ce qu’il nomme de «conférences performances». La braise dans les pupilles, il explique que les lignes représentent les éléments de la terre, du feu et de l’eau alors que sa voix est le vent. Pour lui, ces symboles propres à la culture amérindienne agissent au même titre que le langage. «La communication ne se réduit pas seulement à l’emploi des mots. L’art peut communiquer également.»
Anaïs Janin croit aussi que l’art est la planche de salut pour la culture amérindienne. L’étudiante au doctorat en sociologie voit cependant dans l’art une façon d’assurer la survivance des langues amérindiennes. «À travers la poésie et la musique, l’art continue de faire vivre les langues autochtones», indique celle-ci.
Selon Anaïs Janin, l’art amérindien jouit d’une notoriété de plus en plus importante au Québec. «Ça prend tranquillement sa place, assure-t-elle. Du côté anglophone, c’est déjà bien en place.» Guy Sioui Durand abonde dans le même sens. Selon lui, l’Indien est revenu au premier plan notamment en raison de problèmes environnementaux et cette idée amérindienne de la Terre mère. Il constate que l’art a aussi joué pour beaucoup. «Un gars comme le rappeur algonquin Samian, on le voit partout, s’exclame-t-il abasourdi. On lui demande de parler de politique et d’économie et non plus uniquement de ses chansons.» Moqueur, Guy Sioui Durand ajoute que l’Indien est devenu à la mode pour les touristes. «Il n’y a pas un Français ou un Européen qui débarque qui ne veut pas voir un Indien.»
Au crépuscule, les artistes d’un jour, les mains engourdies, reluquent leur œuvre. S’ils n’ont perlé qu’une infime partie du projet de Nadia Myre, d’autres viendront achever cet exutoire culturel.
Laisser un commentaire