Superpapas

Alors que de récentes études et statistiques vantent l’image d’un père «engagé», les pères divorcés du Québec s’exaspèrent devant les honoraires élevés et les délais interminables de la justice québécoise. 

Vu de l’extérieur, le 2150 rue Théodore, à Montréal, semble banal. Une fois la porte franchie, un premier coup d’œil donne le vertige: les montagnes de documents et de dossiers éparpillés sur les tables inondent l’espace. Les murs jaunâtres sont tapissés par des dizaines de photos d’enfants. Assis à son bureau, Patrick Cavalier tient le combiné: «Vous demandez une garde exclusive si je comprends bien, monsieur?»

Bienvenue dans les locaux du centre d’entraide et de soutien Pères Séparés, voué à la promotion d’un rôle actif du père dans l’éducation et la socialisation des enfants. «Tout a commencé en 1997 dans une petite cuisine. Des pères venaient tout simplement s’informer, raconte le directeur général de l’organisme. Aujourd’hui, on reçoit plus de 1 000 appels par année.»

Depuis 2009, le nombre de demandes a bondi de 760%. Selon Patrick Cavalier, au moins 80% des coups de fil concerneraient des questions juridiques, mais il se refuse à jouer le rôle de l’avocat. Pères Séparés ne donne aucune opinion juridique sur les causes en question.

Spécialiste en droit familial et médiation, Me Pierre Valin admet qu’il s’agit d’un débat souvent soulevé, la plupart du temps par les papas. «Comme la mère est souvent considérée comme la figure attachante, ils se sentent inférieurs et démunis, justifie-t-il. En bas âge, les enfants sont souvent confiés à la mère: il s’agit de la théorie de l’âge tendre. Cette dernière soutient que la mère détient les habiletés naturelles pour élever l’enfant.» Selon l’édition 2011 du Portrait statistique des familles au Québec du ministère de la Famille et des Aînés du Québec (MFA), lorsque l’enfant a 4 ans ou moins, seulement 14,2% des pères en ont la charge complète.

Raymond Villeneuve, président du Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP), un organisme communautaire situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, tente lui aussi d’aider les papas désespérés. Si les lois ne présentent aucune discrimination entre les femmes et les hommes sur papier, un grand nombre de pères jugent que le système de justice est marqué par la politique du «deux poids deux mesures». Plusieurs pères ont l’impression que les intervenants ont des préjugés qui barrent la route à leur engagement paternel.

Plus impliqués que jamais

Pour soutenir les pères aux prises avec des difficultés, des interrogations ou des angoisses, l’organisme Pères Séparés offre un groupe de soutien, le mercredi soir. «Au Québec, 52% des couples se séparent. C’est inquiétant, constate le directeur Patrick Cavalier. Au cours des années, nous avons réussi à établir un lien de confiance avec les pères qui viennent et ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’informer.»

Patrick Cavalier n’est pas le seul à observer cette augmentation de pères dits «engagés». Une étude réalisée en 2006 par le MFA fait part d’une contribution et d’un partage plus égalitaire des parents aux tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants. Par exemple, 18,5% des répondants croient que les pères sont plus aptes à jouer et à participer à des activités avec leurs bambins, contrairement à 10,6% pour les mères.

Martin Girard, 47 ans, est père de deux enfants âgés de 7 et 9 ans. Ce dernier a mis fin à 11 années de vie conjugale il y a à peine trois mois. Après un accord à l’amiable avec la maman, il s’occupe de ses bouts de chou une semaine sur deux. Il se considère comme un père engagé et désire s’occuper de ses enfants plus que jamais. «Depuis mon divorce, disons que je m’implique plus intensément, partage le journaliste-recherchiste de profession. J’adore mes mousses, je les verrais tous les jours.»

Cliché obsolète

Raymond Villeneuve observe une perception différente de la paternité dans les dernières années. Selon lui, le mouvement féministe des années 1960 a été un élément déclencheur. Alors que la femme était considérée comme une mineure, de plus en plus d’hommes ont réagi à la vague populaire en s’engageant dans des relations égalitaires. «La perception des pères a longtemps été négative et référait souvent à un homme violent, négligent et agresseur, explique le directeur du RVP. Aujourd’hui, les mentalités ont changé et il faut que cela transparaisse dans les milieux de service.»

Malgré certains avancements, la plupart des hommes hésitent à demander de l’aide.  «La société change, les pères s’engagent de plus en plus, les organismes communautaires les soutiennent davantage… mais les politiques sociales actuelles ne reflètent pas cette situation, avance Raymond Villeneuve. Dans les politiques sociales québécoises portant sur la famille, les pères sont les grands absents.»

Dans le Programme national de santé publique 2003-2012, par exemple, le mot «père» n’est jamais utilisé (contrairement à «mère», employé à 56 reprises). Aussi, la mère est identifiée comme «mère biologique» sur la déclaration de naissance, tandis que le père est désigné comme l’«autre parent». «Malheureusement, très souvent, lorsque le père accompagne sa conjointe aux cours prénataux, on ne lui parle pas ou très peu. Après l’accouchement, pas plus. Très peu d’aide postnatale lui est offerte et il finit par se demander s’il est important», remarque le président du RVP.

Joint tard en soirée, le temps de mettre ses enfants au lit, Martin Girard parle à voix basse au bout du fil. Le récent papa célibataire avoue que ce n’est pas facile de voir sa progéniture seulement deux semaines par mois. D’une voix sans entrain, il dit simplement: «Je vais apprendre à prendre mon mal en patience et attendre mon tour.»

Illustration: Sophie Chartier

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