Tête chercheuse

Le plomb, le manganèse et les pesticides se retrouvent dans la mire de Maryse Bouchard. Bien déterminée à combattre ces polluants, cette scientifique chevronnée mène de front plusieurs batailles afin de réduire leurs effets destructeurs sur notre matière grise.
Photo: Myriam Lemay
 
 
Fraîchement diplômée de la prestigieuse Université Harvard, Maryse Bouchard répond avec calme aux questions des journalistes d’ABC et de Fox News. Nous sommes en mai 2010. Son étude sur la consommation de pesticides et l’hyperactivité chez les enfants la propulse sous les feux de la rampe. La machine médiatique américaine a sauté sur l’affaire, si bien que pendant trois semaines, elle ne fait qu’accorder des entrevues. «Je m’attendais à cet engouement-là parce que c’est un sujet vraiment sexy, lance, un sourire en coin, la jeune experte en santé environnementale de l’UQAM. Quand on mêle pesticides, santé des enfants et hyperactivité, ça inquiète les gens et forcément, ça attire l’attention.»
 
À 34 ans seulement, elle est l’auteure d’une quinzaine de publications dont la plus récente figure au palmarès des dix découvertes de l’année 2010 du magazine Québec Science. Parue en septembre, son étude démontre que le manganèse dans l’eau potable affecte le cerveau des enfants. Les plus exposés subissent une baisse significative de six points de quotient intellectuel. Dans la communauté scientifique, ses résultats ont l’effet du bombe. Jamais on n’avait soupçonné ce métal semblable au fer, pourtant présent dans notre alimentation, d’altérer l’intelligence quand il se retrouve dans l’eau.
 
Le problème concerne près de 20% des municipalités du Québec, pour la majorité en zone rurale. «C’est la première fois qu’on prouve que le manganèse, dissout dans l’eau, est un problème, souligne-t-elle. Comme il peut être filtré, je trouvais que c’était ma responsabilité sociale de diffuser cette information le plus largement possible.»
 
Tant d’articles et de reportages la flattent, avoue-t-elle avec humilité, mais représentent aussi une source de motivation. «Je suis passionnée par mes recherches, mais je veux surtout qu’elles aient un impact dans la société, souligne celle qui se qualifie de chercheuse engagée. J’ai envie qu’elles soient considérées comme importantes par les gens et pas seulement par la communauté scientifique.» Son objectif? Que des normes limitent la consommation des contaminants dont elle cerne les risques. «Ça ne se fait pas en criant ciseaux, mais il faut pousser, sinon il n’y aura jamais de changement», lance-t-elle. Et pour faire bouger les choses, la jeune femme n’hésite pas à porter plusieurs chapeaux. En plus d’être professeure associée à l’UQAM, elle occupe un poste de chercheuse associée au Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine et à l’Université de Montréal.
La tête de l’emploi
«Elle a vraiment la tête d’une chercheuse», s’exclame la coordonnatrice du projet de recherche sur le manganèse dans l’eau à l’UQAM, Marie-Ève Brodeur. Dès son plus jeune âge, Maryse Bouchard se prédestinait aux sciences. Haute comme trois pommes, elle s’appliquait déjà à réaliser les expériences du magazine Les Débrouillards, qu’elle parcourait de manière assidue. Elle a alors développé une fascination pour le cerveau. «Je voulais être psychiatre quand j’étais plus jeune», raconte-t-elle en riant. Son rêve d’enfance l’a poursuivie. En 2009 lorsqu’elle a publié une étude dans la prestigieuse revue américaine Archives of General Psychiatry. Le lien qu’elle a établi entre la concentration de plomb dans le sang et la dépression l’a menée au sommet de la littérature scientifique. 
 
Après des études au Collège Jean-Eudes et au Cégep Maisonneuve, la scientifique dans l’âme a fait son entrée à l’UQAM au baccalauréat en biologie. Elle a ensuite entrepris une maîtrise en écologie forestière, mais a rapidement déchanté. «Je voyais mal l’utilité pour le public, se rappelle-t-elle. J’ai compris que je voulais travailler en environnement, mais que l’être humain devait être au centre de mes préoccupations.» Elle a alors découvert la santé environnementale et a convaincu la professeure Donna Mergler de la prendre comme étudiante. «Elle m’a tout de suite impressionnée par sa vivacité intellectuelle et son ouverture d’esprit», se souvient la directrice de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM.
 
Depuis, l’impact de l’exposition au manganèse est devenu son sujet de prédilection. Sa maîtrise et son doctorat portaient d’ailleurs sur ce champ d’étude quasi inexploré. Or, ce métal n’est pas un cas unique. Alors que le nombre de contaminants dans l’environnement ne cesse de croître, les connaissances sur leurs effets ne suivent pas la cadence, déplore-t-elle. «Il y a peu d’études, car la santé environnementale souffre d’un manque évident de financement. Les chercheurs ont beaucoup d’inquiétudes, mais ils ont plus de questions que de réponses.»
Le début d’une grande carrière
Forte de la médaille du Gouverneur général reçue pour sa thèse en 2007, la scientifique a troqué Montréal contre Boston, le temps de compléter son postdoctorat en santé environnementale à Harvard. «Avant d’arriver là-bas, je me disais que j’allais être entourée de génies et j’avais peur de ne pas être à ma place, avoue-t-elle. Mais non, finalement.» Elle y a étudié son deuxième dada, les pesticides, en plus d’y rencontrer son époux. 
 
Pas question pour le moment d’être un cerveau de plus en exode. Pour la chercheuse, trop de travail reste à accomplir de ce côté-ci de la frontière, à commencer par l’adoption d’une loi sur la concentration maximale de manganèse dans l’eau. Selon un principe bien établi en santé publique, rien ne peut changer sur la base d’une seule publication. C’est pourquoi Maryse Bouchard repart à la chasse aux résultats, cette fois au Nouveau-Brunswick. Elle y répètera l’expérience québécoise et évaluera les effets du contaminant sur 280 enfants. «Si on arrive aux mêmes conclusions, je sais que Santé Canada va vouloir légiférer», affirme-t-elle. Confiante, la jeune femme devrait de nouveau faire parler d’elle dans les prochaines années. Ses recherches préliminaires indiquent que 80% des Néo-Brunswickois consomment de l’eau contaminée au manganèse. «Elle est au début d’une carrière de grande chercheuse, promet son ancienne professeure devenue son amie, Donna Mergler. Quand je pense à Maryse, je souris de fierté.»

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *