Ranger son ballon pour de bon

Des femmes, Jacques Verschuere en a connu des centaines. Lorsqu’il se remémore ses 37 années passées à entraîner des équipes de basketball féminin, le coach de 62 ans parle de ses «filles» avec fierté.
Photo: Mathieu Harrisson
 
 
Rides discrètes et rares cheveux blancs, le grand manitou des Citadines ne paraît pas mûr pour la retraite. Au Centre sportif de l’UQAM, ses yeux perçants scrutent les paniers de basketball pendant qu’il prend la pose, ballon orange en main. «Un p’tit lancer pour le Montréal Campus, monsieur?» tente le photographe. Jacques Verschuere décline l’invitation. L’entraîneur a bel et bien rangé son sifflet.
 
Après avoir repoussé sa retraite pendant huit ans, l’entraîneur tire sa révérence ce printemps. Un départ qui chicote le recteur Claude Corbo, de quelques années son aîné. «M. Corbo ne comprend pas, il veut que je reste. Mais je pourrai mieux dormir six mois de plus par année, enchaîne-t-il d’un ton las. Je suis fatigué mentalement à la fin d’une saison.» Après la finale provinciale de basketball  du 11 mars, qui s’est soldée par une défaite, le coach a fait ses adieux à un monde auquel il a consacré presque une vie. 
 
Rien ne prédestinait Jacques Verschuere – prononcé Verskure – à entraîner des basketteuses. Jeune, il ne jurait que par le hockey et le golf. Son intérêt pour le basketball se manifeste vers l’âge de 18 ans, alors qu’il tâte le ballon orange au sein des Lynx, l’équipe du Cégep Édouard-Montpetit. Par la suite, baccalauréat en enseignement en main, le jeune homme fraîchement sorti de l’Université de Montréal enseigne l’éducation physique aux cégépiens de son ancien établissement. 
 
Le tourbillon des études terminé, où il menait de front trois emplois simultanément, ses 16 heures hebdomadaires en compagnie d’élèves peu motivés l’ennuient. Il préfère de loin accompagner des passionnés dans la réalisation de leurs objectifs. «Coacher, c’est établir une relation plus complète que l’enseignement, c’est aider l’autre à s’améliorer», souligne l’ex-entraîneur. Alors jeune enseignant, il approche son alma mater collégiale afin de prendre sous son aile l’équipe masculine de basketball. Mais les garçons ont déjà un entraîneur. Seules les filles sont orphelines. Pris d’affection pour les joueuses de l’équipe, elles scelleront son destin dans un monde de femmes pour près de quatre décennies.
 
De 1974 à 2002, Jacques Verschuere cumule honneurs et réussites. L’entraîneur collégial de l’année en 1998 ne manque pas d’exprimer sa fierté lorsqu’il se souvient des joueuses qui ont gagné trois championnats collégiaux provinciaux AA et le championnat au niveau AAA de 2001. «Édouard-Montpetit avait un bon programme de basket-ball et nous étions habitués de gagner», se vante-il, fier d’avoir élevé l’équipe collégiale au niveau AAA dès 1995.
L’UQAM réussit à l’attirer dans ses filets en 2003 pour un contrat de trois ans, afin d’entraîner l’équipe féminine naissante de basketball des Citadins.
 
Débuts difficiles: la première année, les Citadines subissent 16 défaites. La deuxième, 14.  «Quand tu perds tout le temps, les bons joueurs ne viennent pas chez vous. Les premières années, il fallait se battre contre ça.» De plus, les universités d’Amérique du Nord recrutent à travers le monde, mais l’UQAM étant francophone, plusieurs candidats étaient éliminés d’avance. Et la situation géographique de l’Université, tout comme le choix limité de ses programmes, repoussait d’autant certaines joueuses de talent. «Une possible recrue d’une région plus rurale n’avait pas apprécié l’emplacement du Centre sportif centre-ville, raconte l’entraîneur, sourire en coin. Les itinérants l’ont quelque peu dérangé». Mais avec un entraînement strict et de la persévérance, Jacques Verschuere propulse enfin ses «filles» en finale provinciale dès leur cinquième saison. Un exploit pour une équipe aussi jeune.
Disciple de la discipline
Une fois sur le terrain ou dans les vestiaires, la rigueur prend vite le pas sur le calme et la discrétion de l’entraîneur. «Il le faut, répond sans hésitation l’ex-entraîneur des Citadins. Il faut amener les filles à jouer en tant qu’équipe, à ce qu’elles fassent tout pour battre l’équipe adverse.» 
 
Ses joueuses, habituées à la discipline, abondent dans le même sens. «Jacques est un coach strict. Il met tout en œuvre pour nous aider à nous améliorer et réussir, confirme la basketteuse Camille Michaud, étudiante en psychologie qui joue pour l’équipe depuis deux ans. Il connaît les points forts de chacune et sait nous répartir sur le terrain pour nous mettre en valeur.»
 
Pour Irline Noël, qui quitte la ligue universitaire de basketball au même moment que son entraîneur, l’équipe s’est nettement améliorée grâce à ses efforts. «Il a été très clair dès le début et m’a dit ce que je devais faire pour éviter de rester sur les bancs. Je vais m’ennuyer de cet esprit de compétition quand je jouerai pour des ligues de matante!» ajoute la finissante au baccalauréat en psychologie en s’esclaffant.
 
Quand le son strident de son sifflet ne résonne pas dans le gymnase, ce sont des mots doux qui sortent de la bouche de Jacques Verschuere à propos de ses joueuses. «J’ai beaucoup d’admiration pour les filles qui font ça, exprime-t-il. Moi, j’entraîne, je suis payé. Elles, elles vont à l’école à temps plein, travaillent et s’entraînent, en plus de leurs six pratiques hebdomadaires de basketball. Elles se donnent beaucoup de mal par passion pour le sport qu’elles pratiquent.»
 
Le nouveau retraité laisse entendre que pendant qu’il foulera les terrains de golf, les joueuses des Citadins s’habitueront vite à un autre entraîneur. «Une nouvelle personne va changer la dynamique. C’est une occasion pour celles qui n’étaient pas toujours sur le terrain d’être évaluées par quelqu’un d’autre et d’avancer, peut-être.»
 
Quant au nouvel entraîneur de l’équipe de basket-ball féminin dont l’identité sera bientôt dévoilée,  Jacques Verschuere part l’esprit tranquille. «L’UQAM a assez de potentiel pour pouvoir se défendre l’année prochaine, indique le coach nouvellement retraité. Si cette personne-là peut avoir plus de succès que j’en ai eu, j’en serais heureux.»

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