Amours noirs

La violence conjugale empoisonne un couple d’adolescents sur cinq. Si elles sont plus sensibilisées que les précédentes, les nouvelles générations n’échappent pas à ce fléau.
 
 
Illustration: Florence Tison
 
 
«J’avais un chum plus âgé que moi, il me demandait toujours “c’est quand qu’on fait l’amour” et je trouvais ça fatigant. Je suis arrivée [chez lui], je suis entrée, je le voyais pas. J’ai crié son nom et là, il m’a pognée par derrière et a essayé de m’enlever mon chandail. Il a sorti son arme, un genre de gun, et il m’a dit : « Tu sais que je suis capable de m’en servir », alors je me suis laissé faire. C’était si horrible, je ne savais pas quoi faire.»* Des lettres anonymes comme celle-ci – écrite par une adolescente de 14 ans –, l’organisme d’écoute confidentiel et gratuit Tel-jeunes en reçoit régulièrement.
 
Selon les chiffres du ministère de la Sécurité publique (MSP),  les adolescents, et principalement les filles, ne sont pas à l’abri des coups. Près de 1 000 cas de violence conjugale ont été répertoriés en 2008 chez des jeunes de 12 à 17 ans. Et la situation s’est gravement dégradée ces dernières années. De 1999 à 2008, leur nombre  a augmenté de 60 %. 
 
«Ce n’est pas parce que les générations précédentes ont été sensibilisés à la violence conjugale que celle d’aujourd’hui en est consciente», exprime la sexologue-consultante à la Table de concertation en violence conjugale et agressions à caractères sexuelles de Laval, Sophie Morin. Elle ajoute aussi que la situation sociale des femmes n’est plus celle des années 1950, où les femmes ne pouvaient quitter leur mari. «On se mariait pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Aujourd’hui, la violence conjugale n’est plus aussi privée qu’avant. Les femmes parlent et la violence conjugale prend une dimension publique, car les femmes peuvent agir.»
 
Aussi, l’arrivée d’Internet et le manque d’éducation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires ont changé la donne. De nos jours, les jeunes filles seraient plus vulnérables, car pour se faire remarquer, elles doivent jouer le jeu de la séduction, selon Sophie Morin. Ainsi, les adolescentes éprouveraient de la difficulté à établir des relations égalitaires et respectueuses avec leur petit ami, augmentant d’autant les risques d’abus sexuel. «Les adolescentes véhiculent une image de « je m’offre à toi », où dire « oui » est de plus en plus à la mode», ajoute-t-elle.
 
La directrice des services chez Tel-jeunes, Marlène Harvey, observe elle aussi un lien entre violence conjugale et sexualité. L’adolescence est une période de la vie où les hormones bouillonnent et où les désirs sexuels sont forts. «On observe un phénomène social d’hyper sexualité, où les garçons font une projection de leurs désirs, mentionne Marlène Harvey. Comme les filles se promènent de plus en plus à moitié habillées, les garçons pensent qu’ils peuvent agir en toute liberté.» 
 
Il existe plusieurs formes de violence faite aux femmes: violence physique, psychologique, verbale, sexuelle, domination sur le plan économique, blagues déplaisantes, chantage, insinuations, etc.
 
Parer les coups 
Pour l’organisme Violence dans les relations amoureuses des jeunes (VIRAJ), la prévention chez les filles ne suffit pas. Les garçons, souvent auteurs de ces actes, ne doivent pas être mis de côté. VIRAJ dispose, depuis 1989, d’un programme de prévention destiné aux jeunes de secondaire 3 et 4.
 
L’équipe, composée de plusieurs animateurs, intervient auprès de jeunes violents dans les écoles. «Nous accueillons des jeunes garçons de 14-20 ans et nous leur donnons des conseils, mais surtout le droit de s’exprimer. C’est de cela qu’ils ont vraiment besoin, indique le coordinateur du projet VIRAJ, Guillaume Perron. La société actuelle porte beaucoup attention aux femmes victimes en leur donnant plus de ressources disponibles. Ce n’est pas une mauvaise chose, loin de là. Mais en ce qui concerne les oppresseurs, il n’y a pas assez d’actions entreprises pour les aider.» 
 
En 1995, l’Institut national de santé publique du Québec publiait une recherche statuant que les coûts associés à la violence conjugale peuvent être évalués à plus de 500 millions de dollars par année en services sociaux, en formation, en justice pénale, en travail, en emploi, en santé et en frais médicaux. «Une victime qui passe une journée au Palais de justice est payée par le gouvernement et les coûts peuvent grimper jusqu’à 12 000 $, par jour, illustre la directrice des services à Tel-jeunes, Marlène Harvey. Ajoutez à cela les centres d’hébergement pour femmes, ouverts 24 heures sur 24, et les frais de séjour des hommes en prison payés par le gouvernement, et les montants augmentent rapidement.»
 
En 2004, le gouvernement provincial mettait en œuvre le Plan d’action gouvernemental 2004-2009 en matière de violence conjugale, au coût de 65 millions. «Le processus d’évaluation du dernier Plan n’est pas encore terminé, alors nous ne pouvons pas savoir si les actions entreprises ont eu des impacts positifs ou négatifs», indique Véronique Paradis, coordonnatrice de la Table carrefour violence conjugale Québec-métro. En 2009, il a été reconduit jusqu’à ce qu’un nouveau plan soit divulgué, ce qui devrait se produire plus tard cette année. 
 
Pour le coordinateur du projet VIRAJ, il reste encore du pain sur la planche. Malgré quelques progrès en matière d’interventions policières, il aimerait que le gouvernement québécois favorise la mise en place d’autres programmes de prévention. «La violence conjugale d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a 20 ans, mentionne Guillaume Perron. Il faut donc adapter les moyens de prévention et s’attarder davantage aux comportements et aux pensées des jeunes. C’est la seule façon de s’en sortir.»
Du côté des hommes 
L’année dernière, Tel-jeunes a reçu plus de 4 400 appels et 900 courriels de jeunes victimes de violence dans leurs relations amoureuses. Au téléphone comme par écrit, la clientèle est majoritairement féminine (58% des appels téléphoniques et 81% de la correspondance écrite), mais il arrive aussi que les hommes soient victimes d’agressions. «On parle surtout d’hommes dans une relation homosexuelle, avance la sexologue Sophie Morin. Il doit y en avoir d’autres, mais ils ne s’expriment pas. Peut-être parce que c’est dans la nature de l’homme de ne pas demander de l’aide.» 

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