Toucher le fonds

L’endettement chez les diplômés universitaires

Diplôme en main, prête à affronter la vie, la relève universitaire est bien souvent désillusionnée lorsque vient le temps de rembourser ses prêts étudiants. Pour plusieurs, l’attachement envers l’université est plus que sentimental, il est financier.
Photo:Philippe Vincent Foisy
Cent quatre-vingt-six dollars par mois pendant 15 ans. C’est le remboursement des 33 480 $ de prêts étudiants d’Emilie, diplômée en relations industrielles à l’Université de Montréal. Elle n’est pas la seule dans cette situation, puisque le nombre de diplômés endettés, ainsi que leur dette moyenne, ne cesse d’augmenter au Canada selon le Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA). 
Comme le souligne l’économiste Pierre Fortin, les détenteurs d’un diplôme universitaire sont censés être les plus riches de la société. Selon Statistique Canada, les bacheliers enregistrent un revenu qui est en moyenne 29% plus élevé que les titulaires d’un diplôme d’études collégiales. Or, il s’avère que la relève universitaire  éprouve des difficultés à rembourser ses prêts après l’obtention du diplôme. Selon des données du ministère de l’Éducation (MELS), la somme totale des prêts étudiants non remboursés depuis 1966 atteint aujourd’hui 849,6 M $. Un chiffre qui tend toutefois à diminuer, puisqu’il s’élevait à 889,1 M $ en 2008. Pour l’année 2009-2010, plus de 68 000 diplômés québécois n’ont pas été en mesure de payer leurs mensualités dans les délais prescrits. Selon le MELS, ces jeunes professionnels représentent 10% des gens ayant bénéficié d’un prêt de l’Aide financière aux études. Parmi eux, six sur dix prennent douze années pour rembourser l’intégralité de leur emprunt. «Le fait que 4% des emprunteurs ne parviennent pas à rembourser intégralement leur prêt étudiant représente un risque que le gouvernement a choisi d’assumer afin de favoriser l’accessibilité du plus grand nombre aux études postsecondaires», explique la porte-parole du MELS, Esther Chouinard.
En attendant que les diplômés remboursent leurs dettes, c’est aux contribuables de payer la facture. Selon l’ancien professeur d’économie à l’UQAM, Clément Lemelin, les prêts offerts au Québec coûtent très cher au gouvernement, puisque l’État paie les intérêts pendant que les débiteurs sont aux études. Il estime que pour chaque dollar prêté, il en coûte 30 à 40 cents de plus à l’État en intérêts.
Québec contre Canada
Un rapport du Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA), un organisme indépendant à but non lucratif, révèle qu’en 2009, la dette moyenne des diplômés universitaires canadiens était de 26 680 $, soit plus du double de l’emprunt d’un diplômé en 1990. Les frais de scolarité ont doublé au pays au cours de la dernière décennie, passant en moyenne à 5 535 $ en 2009-2010. Statistique Canada, dans ses chiffres, exclut toutefois  le Québec, province aux frais de scolarité les plus bas. La proportion d’étudiants qui doivent emprunter pour payer leurs études s’est aussi accrue, passant de 49% en 1995 à 57% en 2005. 
Le niveau d’endettement étudiant au Québec représente la moitié de ce qu’on observe ailleurs au Canada, surtout dans les provinces maritimes, et seulement le quart par rapport aux États-Unis. Selon le ministère de l’Éducation, la dette moyenne d’un diplômé de premier cycle québécois en 2007-2008 était de 12 846 $. «Quand on se regarde, on se désole. Mais quand on se compare, on se console», lance le professeur d’économie à l’UQAM Pierre Fortin. Selon lui, le Québec est avantagé par de faibles coûts de scolarité et une aide financière plus généreuse qu’ailleurs.
Par contre, même si les étudiants québécois sont moins nombreux à s’endetter que dans le reste du Canada, pour les associations étudiantes, l’aide financière n’est pas suffisante. Selon le président de la FEUQ, Louis-Philippe Savoie, le programme d’Aide financière aux études n’est plus adapté aux besoins des étudiants. «Depuis 1994, le programme a  été indexé au taux d’inflation seulement une année sur deux. Ça ne répond pas à la hausse des coûts du logement, du transport ou des frais de scolarité», explique Louis-Philippe Savoie, qui demande au gouvernement un investissement de 171 millions de dollars pour rattraper le retard.
Emilie confie qu’elle n’aurait jamais pu y arriver sans le système de prêts et bourses. La jeune diplômée a dû subvenir à ses besoins dès l’âge de 18 ans et est tombée enceinte au début de son baccalauréat. Elle a donc bénéficié d’un prêt maximal de 14 000 $ par année, en plus de jouir de bourses d’excellence et d’allocations familiales. «J’étais plus riche durant mes études que maintenant», soutient-elle. Mais le passé la rattrape. Six mois après la fin de ses études, Emilie devait commencer à rembourser son prêt. Diplômée depuis deux ans, elle tente d’accélérer le processus de remboursement.
Malgré sa bonne volonté, elle accorde la priorité à ses cartes de crédit aux taux d’intérêts plus élevés. Au-delà de ses déboires financiers, la jeune maman s’efforce d’économiser pour les études de sa fille. «Je veux éviter à tout prix qu’elle se retrouve dans la même situation que moi.»
Crache le cash
Pour le président de la FEUQ, Louis-Philippe Savoie, plusieurs facteurs pourraient expliquer la montée de l’endettement chez les diplômés, dont la hausse des frais de scolarité. L’économiste Clément Lemelin contredit cette affirmation en se basant sur le gel des frais de scolarité entre 1995 et 2007. Il explique que depuis quatre ans, la facture universitaire augmente de 100 $ par année. «Il y a donc un problème de synchronisation, estime-t-il. Les étudiants touchés par cette augmentation ne sont pas encore en période de remboursement.» Toutefois, pour le président de la FEUQ, l’avenir n’est pas rose. «Il faut s’attendre à ce que la situation empire, croit Louis-Philippe Savoie. Si on augmente les frais de scolarité, il y aura davantage d’étudiants endettés.»

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1937
Lancement de différents programmes d’aide à la jeunesse à la suite d’ententes conclues entre les gouvernements fédéral et provinciaux afin de résoudre les problèmes de chômage chez les jeunes.
1940 
60 étudiants de différentes universités québécoises se partagent 9 000 $.
1962 
46 000 étudiants reçoivent une aide financière totalisant 13,5 M$. Le maximum accordé est de 500 $ par personne. L’aide offerte doit toutefois être remboursée.
1966 
La Loi sur les prêts et bourses aux étudiants est adoptée. 50 000 empruntent 26,2 M$ à 2 400 succursales d’établissements financiers. 
1974 
Première refonte de la Loi. Affirmation de certains principes fondamentaux: aucune personne ne doit se voir interdire l’accès aux études supérieures en raison de l’insuffisance de ses ressources financières.
1995-1996 
Le Ministère attribue 532,7 M$ en prêts et 253,4 M$ en bourses à 163 000 étudiants.
1999-2000
Création des bourses du millénaire de 70 M $. Selon l’Aide financière aux études, la moitié de cette somme avait pour objectif de réduire l’endettement des bénéficiaires du Programme de prêts et bourses. 
2005-2006
À la suite d’une entente de principe conclue entre le gouvernement et les associations étudiantes, le plafond des prêts est abaissé. La Fondation canadienne des bourses du millénaire augmente sa contribution à l’aide versée aux étudiants québécois. 
2007-2008
Plus de 100 000 bénéficiaires voient leur aide financière majorée. C’est un investissement de 31 M$ au Programme de prêts et bourses.

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