Goûter avec les yeux

L’art culinaire

Un violon en gouda, un papillon en cheddar et une demoiselle en chocolat. Qu’ils soient stylistes, designers ou pâtissiers, les passionnés du food art transforment les aliments en délices pour les yeux. 

Armé d’un scalpel, de couteaux de précision et de ciseaux, Guy Houde opère un pois mange-tout pour révéler la beauté de ses perles vert vif. Avec plus de 20 ans de métier derrière le tablier, le styliste culinaire transforme, embellit et sculpte les aliments. Qu’il s’agisse d’un sapin de Noël en fromage sur lequel neige du parmesan ou un hamburger de sept étages en suspension, les défis nourrissent sa carrière. Vous trouvez appétissante la crème glacée sur l’affiche de votre crèmerie préférée? Sachez que derrière le sundae se cache un travail d’orfèvre. «La crème glacée à partir de purée de pommes de terre pour les affiches publicitaires, c’est une technique très dépassée, assure-t-il. J’ai ma propre recette secrète.» 
Au-delà de remplir nos estomacs, l’art de la bouffe peut aussi avoir une portée politique. Une de ses dernières réalisations pour le magazine culturel Urbania en témoigne. Guy Houde a sculpté Jean Charest en malbouffe: la tête façonnée dans 40 kg de fromage cheddar, des cheveux en frites, le collet de chemise en poulet pressé et la cravate en bacon. De quoi faire grimper le taux de cholestérol du politicien. Le buste a exigé cinq jours de préparation et une journée de sculpture. «C’est ma plus grande fierté, confie le styliste de renom. Même si j’ai eu des doutes tout le temps où je sculptais, ça m’a donné beaucoup de confiance.» 
Des doutes, il y a de quoi en avoir lorsqu’un artiste travaille la nourriture. Le sculpteur culinaire doit bien maîtriser les aliments, une matière plus fragile et instable que la peinture ou les métaux. Le jeune pâtissier Romain Leemann en sait quelque chose. Celui qui a représenté le Canada lors du dernier World Chocolate Masters a dû s’incliner devant ses adversaires venus des quatre coins du monde. La tête de sa femme en cacao est tombée au montage. 
La recette du food art

Difficile de mettre une date sur les débuts du food art. Déjà au XVIe siècle, le peintre Giuseppe Arcimboldo utilisait la nourriture sur ses toiles. Chaque partie du corps du célèbre portrait de Rodolphe II en Vertumne (dieu grec des récoltes et de l’abondance) est composée de fruits et de légumes.
Aujourd’hui, artistes et stylistes travaillent directement la nourriture. Comme tout art, celui des aliments nécessite techniques et outils pour créer des œuvres appétissantes. Quand Romain Leemann sculpte le chocolat, il utilise d’abord des moulages, comme pour les lapins de Pâques, et transforme le matériau en colle pour souder les différents morceaux. «Quand on passe le chocolat au robot culinaire, il se transforme en une sorte d’argile et devient plus malléable, explique le pâtissier. Après, il durcit à nouveau.» Un mélange de chocolat blanc et de colorant alimentaire donne ensuite un peu de couleurs à l’œuvre aphrodisiaque.
Shooting photo d’une… carotte

Avec les années, le styliste Guy Houde a cumulé les diplômes, ce qui en fait aujourd’hui un spécialiste des effets spéciaux alimentaires. Après une formation en cuisine, en administration, en publicité et en arts visuels, le maître de l’esthétisme culinaire a perfectionné son art avec des cours de sculpture, d’ébénisterie et de vitrail. «Être styliste culinaire, ce n’est pas juste de la cuisine, c’est un vrai travail de bijoutier.» Cependant, l’artiste s’efforce de préserver le naturel de ses modèles. Cherchant le fruit parfait comme on traque le graal, Guy Houde peut passer au travers de centaines de fraises pour en sélectionner seulement trois. 
Durant la séance photos d’une publicité pour un supermarché, il commence par un casting de légumes. La séance de maquillage s’amorce, il sort son pinceau pour enduire les carottes d’huile et utilise un décapeur à peinture pour colorer le veau. «Certains aliments, comme les humains, sont plus photogéniques que d’autres», lance à la blague sa collègue styliste, Caroline Simon.
Attention, toutefois, le but n’est pas seulement d’atteindre une beauté superficielle. Pour Guy Houde, les aliments ont une dimension socio-affective. «La nourriture est séduisante, confie-t-il après un moment de réflexion. Elle a quelque chose qui plaît à tout le monde.» Même si les plats de Guy Houde font saliver, interdit de les manger. 
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Léchez l’assiette et vous pourrez la croquer

La designer et auteure du livre L’aliment comme matériau, Diane Bisson, transforme elle aussi les aliments, mais avec une démarche plus écolo qu’artistique. Pour faire concurrence à la vaisselle jetable, elle a créé des assiettes, des ustensiles et des contenants comestibles dans une perspective de développement durable. Après plus de 400 essais en cuisine avec des chefs et des professeurs en science de l’alimentation, elle a présenté au public différents produits comme des assiettes en lait de coco et des fourchettes en farine de quinoa. L’initiative à la fois créative et scientifique a l’ambition d’intégrer le marché. «Pour le moment, je travaille sur plusieurs projets de grande et de petite production comme pour des industries de traiteurs, des expositions et des performances, souligne la designer. Mais pas pour une production de grande série.»

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