Migrer au gré de son art

Intégration des immigrants dans le milieu artistique

Venus de l’autre bout du monde, des artistes s’établissent au Québec, de grandes ambitions dans leurs valises. Leur choc culturel est loin de se limiter à la découverte de la poutine, alors qu’ils doivent évoluer dans un milieu artistique à cent lieues de celui de leur pays d’origine.

Photo:Courtoisie Ulysse L.B.
L’appartement de Maya Kuroki, Mai Otuska de son vrai nom, est décoré de toiles colorées et de grigris mystérieux. Installée dans la métropole depuis neuf ans, l’artiste japonaise raconte, dans un français très respectable, à quel point elle s’est sentie perdue à son arrivée dans la ville aux cent clochers.
Après avoir fait du théâtre au Japon pendant plus de cinq ans, Maya Kuroki décide de parcourir le monde à la recherche d’inspiration nouvelle. Dès son arrivée au Québec à l’âge de 26 ans, l’artiste multidisciplinaire se met à imaginer l’univers fantastique dans lequel se déroulera son prochain spectacle, qui mêlera musique, théâtre et projections vidéo. Très vite, elle se perd dans les méandres administratifs de l’industrie artistique québécoise et comprend qu’elle aura besoin d’aide pour réussir sur sa nouvelle terre d’adoption. «Au début, je n’avais même aucune idée de la façon de remplir une demande de subvention», se remémore-t-elle. Selon le recensement canadien de 2001, 1300 artistes issus des minorités visibles ont élu domicile à Montréal. Ils représentent environ 7% de la communauté artistique de la métropole québécoise.
En 2007, Maya Kuroki remporte le concours Mon accès à la scène. Elle gagne un accompagnement d’un an par Montréal, arts interculturels (MAI). L’organisme sans but lucratif, qui a ouvert ses portes en 1999, aide les artistes immigrants à s’intégrer à l’industrie culturelle québécoise. «Ils nous expliquent le business de l’art», résume Maya Kuroki. Pour leur permettre de démystifier le fonctionnement des demandes de subventions, des droits d’auteur et de la promotion, le MAI accompagne les artistes à toutes les étapes de la réalisation d’un projet, du budget initial jusqu’au paiement des factures. L’accompagnement se prolonge même une fois le rideau tombé ou le dernier coup de pinceau donné, pour éviter que les artistes soient laissés à eux-mêmes trop rapidement. C’est donc en véritable sauveur que Maya Kuroki a accueilli le soutien du MAI, alors qu’elle peinait à percer dans le milieu.
Un chemin semé d’embûches

«La première difficulté que rencontrent les artistes en arrivant ici, c’est de se faire reconnaître comme professionnels», constate Yves Agouri, directeur exécutif de Diversité artistique Montréal (DAM), un organisme qui encourage la diversité culturelle dans le domaine des arts. Ce qui fait dire à Yves Agouri que les 1300 artistes immigrants recensés ne pourraient représenter que la pointe de l’iceberg. Un grand nombre d’artistes, incapables d’obtenir une reconnaissance officielle, passent sous le radar des recenseurs. 
La première étape pour l’équipe de DAM consiste à fouiller le passé de l’artiste et l’accompagne dans la production d’un curriculum vitæ. «C’est beaucoup plus facile pour eux de trouver de l’emploi à partir de ce moment-là», juge Yves Agouri.
Si l’exotisme de l’espagnol et du japonais fait rêver plusieurs Québécois, ces langues servent bien mal les artistes qui cherchent un emploi dans la Belle Province. Le directeur exécutif de DAM estime d’ailleurs qu’apprendre le français est l’un des défis les plus importants qui attendent les artistes immigrants. «Nous sommes financés par le ministère de l’Immigration du Canada et nous dirigeons nos membres vers les services de francisation qu’ils offrent.» Des services dont Maya Kuroki se réjouit d’avoir bénéficié. «Apprendre le français ici, c’est gratuit», s’emballe-t-elle. La Japonaise, habituée au coût de la vie exorbitant de son pays natal, est fascinée par l’accessibilité des services au Québec. «Ici, les loyers sont moins chers, les espaces de pratiques plus abordables et il y a beaucoup plus de subventions, explique-t-elle. Au Japon, les montants des subventions sont tout petits.»
Malgré l’accessibilité et l’abondance des subventions, Yves Agouri, de DAM, estime que les artistes immigrants n’en profitent pas assez. «Les communautés culturelles ne se sentent pas interpellées par les programmes de subventions et les concours», déplore-t-il. Un problème qui s’explique par un marketing inadéquat, selon lui. «Beaucoup d’efforts ont été mis pour adapter nos stratégies de communications. Parfois, le simple fait de changer les couleurs des affiches ou encore le genre de lieux où elles sont installées fait toute la différence.»
Grâce à l’appui du MAI, l’artiste japonaise présentait en 2008 le spectacle multidisciplinaire Tamagoléoptera. Elle jure aujourd’hui qu’elle n’aurait jamais pu y arriver sans les ressources offertes par l’organisme. «Ils nous ont fourni le matériel et une équipe. Quand j’avais une question, n’importe laquelle, je n’avais qu’à la poser. Ils étaient d’une grande aide.» Si elle admet avec un petit sourire qu’elle ne vit toujours pas de son art, elle soutient que c’est principalement par choix. «Je ne veux pas trop me concentrer sur le marketing pour insister sur la création. Faire de l’art comme un business, ça lui enlève sa pureté.»

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *