S’évader de prison par l’art

Des femmes judiciarisées s’expriment par l’art communautaire

Drogue, prostitution, vol, abus: les femmes incarcérées traînent souvent un lourd passé derrière elles. Derrière les barreaux, l’art devient une forme de liberté, un exutoire et un outil de réinsertion sociale.

Courtoisie: Engrenage Noir

Geneviève, 27 ans, n’en croit pas ses yeux: elle intègrera l’UQAM en psychologie dès cet automne. «Tu m’aurais dit que j’allais à l’université il y a trois ans, j’t’aurais ri dans la face!», s’exclame la jeune femme à la longue chevelure au milieu de son coquet appartement situé à Montréal. Geneviève a quitté le nid familial à l’âge de 13 ans. La dure réalité de la rue l’a rapidement poussée à consommer de la drogue et à se prostituer. Quelques piqûres d’héroïne, hommes de passage et petits méfaits plus tard, elle est enfin sereine et, selon elle, c’est en grande partie grâce aux projets artistiques mis en branle dans les prisons et les maisons de transition pour femmes qu’elle a côtoyées durant plusieurs années.

Depuis 2008, Engrenage Noir/ LEVIER et la Société Élizabeth Fry du Québec (SEFQ), deux organismes communautaires, se sont associés pour inviter les femmes aux prises avec la justice à participer à Agir par l’imaginaire, un projet de création artistique auquel Geneviève et plusieurs autres femmes du milieu carcéral ont participé.

Agir par l’imaginaire comprend onze ateliers dispensés sur une période de deux ans dans quatre établissements, soient la Maison Tanguay, le pénitencier de Joliette, l’Institut psychiatrique Philippe-Pinel et la Maison de transition Thérèse-Casgrain. Les ateliers aussi variés que la danse, la photographie, la vidéo, le son, l’écriture, le slam, la performance et le chant ont été réalisés en collaboration avec huit artistes recrutés et formés par Engrenage Noir/ LEVIER. «L’artiste amenait des techniques et la femme judiciarisée avait une expertise au niveau du vécu. En jumelant les deux, on donne vie à une œuvre d’art», raconte Aleksandra Zajko, agente de développement à la SEFQ. En avril 2011, le fruit de tout ce travail sera exposé au grand public.

«L’objectif était à la fois de venir en aide aux femmes du milieu carcéral et de casser les préjugés en faisant découvrir à la société les femmes judiciarisées en tant que femmes et non par leur délit, affirme celle qui s’est chargée du projet Agir par l’imaginaire. L’art peut répondre aux deux exigences». 

Rencontrée à la Maison de transition Thérèse-Casgrain à Montréal, une résidence qui héberge des femmes en démarche de réinsertion sociale, Aleksandra Zajko explique que le projet Agir par l’imaginaire exploite le lien entre la pauvreté chez les femmes du milieu pénal – une pauvreté qui peut être certes financière, mais aussi sociale, émotionnelle ou scolaire – et l’incarcération. «Les femmes détenues perdent leur emploi, leur réseau social et souvent la garde de leurs enfants, lance-t-elle, un peu découragée. Bien souvent, elles se valorisent à travers la drogue et la prostitution». 

Une œuvre, une nouvelle femme

Cette confiance, elle se sent chez Brigide, une participante d’Agir par l’imaginaire dans la quarantaine. À raison de neuf heures par semaine durant près d’un mois, Brigide a réalisé l’atelier vidéo à la Maison Tanguay, un établissement de détention provincial pour femmes à Montréal. «Au début, je ne savais pas trop si j’avais les compétences. Je me retrouvais devant un projet qu’il fallait réaliser du début à la fin», affirme Brigide. Ces craintes se sont rapidement dissipées pour faire place à une grande fierté. «Je suis extrêmement fière des mes résultats et de tout le monde. J’ai découvert que j’avais beaucoup de potentiel en art et les commentaires que j’entends vont au-delà de mes espérances !», s’exclame-t-elle, heureuse et épanouie. 

L’énergique Julie-Chantale, 32 ans, présente avec fierté et émotion sa vidéo réalisée dans le cadre d’un atelier de cinéma au pénitencier de Joliette. «J’étais fière de le montrer à ma famille au party de Noël! C’est la première fois de ma vie que je me sens humaine et intéressante», confie-t-elle. Comme plusieurs détenues, Julie-Chantale utilise l’art pour dénoncer les conditions carcérales des femmes dans sa séquence intitulé L’Ange et le démon. «Je voulais montrer mon côté qui veut réussir et en même temps le démon qui me donne tout le temps envie de consommer». 

Geneviève, de son côté, avait déjà plusieurs créations artistiques à son actif avant d’entreprendre le projet Agir par l’imaginaire. Tout en exhibant les diverses œuvres d’art qui trônent dans son appartement, Geneviève explique en quoi l’atelier de photo a eu un impact dans sa vie. Après avoir vécue à la Maison Thérèse-Casgrain, l’étudiante a pris deux cours de photographie au Collège de Maisonneuve à Montréal : «Je n’aurais jamais fait ces activités parascolaires si je n’avais pas fait Agir par l’imaginaire». C’est d’ailleurs maigre rémunération offerte par les établissements carcéraux pour la réalisation du projet de création qui a permis de payer ses cours de photo.

L’art-thérapie 

Les conditions de vie carcérale, le sentiment d’être un numéro, de ne pas compter aux yeux de la société, le temps qui passe, les rêves, les blessures et la vision du système judiciaire: voilà plusieurs thèmes abordés au cours d’ateliers de création en milieu pénal. 

«Au lieu d’amener les gens à parler, on le fait par la création. L’art est très puissant, car il touche l’inconscient et permet d’exprimer des émotions», soutient Bénédicte Deschamps, art-thérapeute à la Maison Tanguay depuis 2001. 

Selon elle, l’art-thérapie permet aux femmes incarcérées de quitter leur secteur bien souvent chaotique et hiérarchisé pour pénétrer dans un espace de non-jugement et d’accueil inconditionnel. «Après une séance, les filles baissent leur niveau d’anxiété et retournent dans leur secteur dans un état plus calme. Ça a donc un impact sur leur vie carcérale». 

Aleksandra Zajko affirme qu’au départ, Agir par l’imaginaire n’avait pas de visée thérapeutique, mais bien communautaire, c’est-à-dire un «art militant qui est fait pour être vu». Or, il est vrai que le projet a été un exutoire pour plusieurs femmes au passé souvent lourd.

Par et pour les femmes judiciarisées

Après le projet Agir par l’imaginaire, plusieurs participantes voulaient poursuivre l’expérience. C’est le cas de Geneviève et Julie-Chantale qui sont maintenant très actives dans le collectif Art Entr’Elles, un projet regroupant des femmes artistes qui disent non à la violence, à la pauvreté et à l’intolérance. 

Grâce à un budget de 18 000$ financé par LEVIER, le collectif a déjà plusieurs créations artistiques à son actif. Leur premier projet a pris la forme de cartes postales conçues et distribuées par les femmes dans la ville de Montréal. «L’objectif était de faire plaisir gratuitement», explique Geneviève, qui a elle-même fait le montage des images de cartes postales. 

Leur dernier projet fut la réalisation d’un film d’animation stop motion sur la réinsertion sociale. De petits personnages colorés en pâte à modeler deviennent alors le support d’une vidéo intitulée Métamorphose en 4 temps qui traite du rejet, de la consommation, de la prostitution, de la DPJ et de la difficulté à trouver un emploi en sortant de prison. 

Le regroupement de femmes travaille présentement sur une performance de danse de style gumboots. Il essaie pour se faire d’obtenir des subventions à la Ville de Montréal, à Condition Féminine du Canada et au Conseil des arts du Canada.

L’objectif à long terme du collectif Art Entr’Elles est de devenir une organisation artistique autonome à but non-lucratif qui pourra venir en aide aux femmes ayant eu des démêlés avec la justice. Bref, redonner aux femmes en difficulté ce que des filles judiciarisées comme Brigide, Geneviève et Julie-Chantale ont reçu de la Société Élizabeth Fry du Québec et d’Engrenage Noir / LEVIER. Si les barreaux de prison contraignent les corps, ces femmes ont prouvé, une fois de plus, que l’imagination, elle, n’a pas de frontières.

 

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *