L’adolescence à livre ouvert

Photo Marie-Dominique Asselin 

Depuis la fondation des éditions de la courte échelle il y a 30 ans, le Ipod a remplacé le Walkman, l’Atari a cédé sa place à la WII et les leggings… non, eux n’ont jamais disparu. Certaines choses ne changent pas et c’est le cas des histoires racontées aux jeunes, dont les thèmes, comme les leggings, sont éternels.


L’auteur Matthieu Simard, trentenaire, a toujours la tronche d’un gamin qui vient de faire un mauvais coup. Cheveux rebelles, sourire en coin, il parle avec fierté de son tout premier roman jeunesse, Pavel. Le romancier fait partie de la nouvelle vague d’auteurs recrutés par la courte échelle. Avec des titres aussi politically incorrect que Plus vivant que toutes les pornstars réunies, Les gens qui pognent, c’est des épais et L’amour m’écoeure, Pavel est à mille lieux du pays de Candy.

Avec des mots simples, l’auteur aborde les drames de l’adolescence. Pour Matthieu Simard, «la réalité est dark». Selon lui, les moments difficiles peuvent marquer toute une vie. «Quand la fille sur qui tu ″trippes″ ne sait même pas que t’existes, ça fait mal à n’importe quel âge», explique le jeune auteur.

Selon lui, il n’y a pas de sujet tabou, qu’il s’agisse de sexe, de suicide ou de harcèlement. Les adolescents, et pas seulement les plus emo d’entre eux, ont besoin des livres comme repères. «Les jeunes de nos jours ont des problèmes profonds. Ils ne sont pas toujours capables d’en parler et peuvent se sentir seuls. En lisant Pavel, ils se disent: « cool, je vis ça moi aussi ».»

Le roman permet alors, le temps de quelques pages, de se sentir moins seul. «Je m’identifie à mes personnages. J’aimerais que mes lecteurs puissent s’identifier aussi ou du moins, y voir quelqu’un qu’ils connaissent.» Selon Matthieu Simard, la réalité des ados d’il y 30 ans et celle de ceux d’aujourd’hui est toujours la même. «L’amitié, l’amour, l’appartenance, la famille, ce sont des thèmes universels.»

Sylvie Desrosiers, auteure de la série NotDog, a quant à elle fait paraître ses premiers romans jeunesse en 1987. Aujourd’hui récipiendaire du Prix littéraire du Gouverneur général pour son roman jeunesse Les trois lieues, elle croit également que les sujets qui touchent la jeunesse sont les mêmes aujourd’hui qu’il y a trente ans. «Le boom hormonal est le même chez les adolescents de toutes les générations. À 15 ans, c’est la découverte, l’amour, la solidarité, les problèmes familiaux, la conscience politique.»

 

Entre le jeu vidéo et le cinéma


Si les préoccupations des jeunes n’ont pas changé, le lectorat, lui, n’est plus le même depuis la naissance de la courte échelle. «Il y a une baisse du lectorat mondial au profit du cinéma, avoue la directrice de la maison d’édition, Hélène Derome. Les gens cherchent plus de lectures rapides, des livres qui se consomment rapidement.»

L’arrivée d’Harry Potter a aussi bouleversé l’univers de la littérature jeunesse. Les aventures du jeune sorcier ont lancé une véritable chasse au best-seller. La courte échelle et ses livres très courts se sont alors fait reprocher de sous-estimer la capacité de lire des adolescents. «Bref, on s’est mis à évaluer la valeur des livres au poids», déplore Hélène Derome.

Confrontée à la concurrence internationale, la maison d’édition a alors décidé de faire peau neuve pour séduire les jeunes d’aujourd’hui. Si le contenu n’a pas changé, le contenant, lui, a pris le virage du XXIe siècle. Pour y parvenir, l’éditrice a décidé de revenir à un genre oublié, le roman-feuilleton, et a recruté de nombreux auteurs au style audacieux, dont Matthieu Simard, Marie-Sissi Labrèche et François Avard.

Plus adapté au style de vie éclaté des jeunes d’aujourd’hui, le roman-feuilleton est un livre qui se lit par petites doses d’une quarantaine de pages. Le graphisme y occupe une place importante avec des couvertures qui se rapprochent de plus en plus des pochettes de disques ou de films. «On mélange le roman et la bande dessinée. On donne un ton plus urbain. On veut capter l’intérêt», résume Hélène Derome.

Toutefois, pas question de faire quelque compromis que ce soit sur l’écriture elle-même. Le roman jeunesse doit être captivant du début à la fin pour capter l’attention du lecteur, habitué à l’adrénaline des jeux vidéos et du cinéma. Selon Hélène Derome, les jeunes ne pardonnent pas. Adieu descriptions interminables, le roman ne jeunesse doit avoir aucun temps mort.

Matthieu Simard croit d’ailleurs que la littérature jeunesse est  beaucoup plus exigeante que le roman pour adultes. «Chaque épisode doit être enlevant. C’est extrêmement exigeant. Ça demande un réel effort de planification.»

 

Si jeunesse savait…

Les romans jeunesse n’auraient donc rien à envier à leurs équivalents pour adultes. Pourtant, la courte échelle peine à faire reconnaître la littérature jeunesse pour ce qu’elle est avant tout: de la littérature. Le roman pour adolescents demeure encore aujourd’hui victime des préjugés, tout comme ses lecteurs.  «Les adolescents sont perçus comme une nuisance publique», déplore Sylvie Desrosiers. À travers l’histoire déchirante de réconciliation père-fils des Trois lieues, la romancière tente de démystifier l’image négative des ados. «Je voulais montrer qu’ils sont courageux, généreux, audacieux. Qu’ils ont de l’humour, qu’ils sont capables de défoncer les portes.»

Selon Sylvie Desrosiers, les adultes auraient tout intérêt à lire des romans jeunesse pour se replonger dans les émotions de cette période trouble ou pour mieux comprendre les adolescents d’aujourd’hui. «Moi, je n’ai pas perdu le lien avec cette période, relate la romancière. C’est la période des premières fois, et ces premières fois sont imprimées pour toujours en soi.»

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