En 2004, les rues de Montréal se sont muées en œuvres d’art sous les pochoirs et les bombes en aérosol de Roadsworth. Quatre ans après son arrestation pour vandalisme, un documentaire signé Alan Kohl trace un portrait de cet artiste de rue dont la renommée est désormais mondiale.
Pendant trois ans, le Montréalais d’origine torontoise Peter Gibson, alias Roadsworth (traduction libre: digne de la rue), a marqué de son art les rues de la ville. Prises de courant dans les espaces de stationnement, chandelles sur les passages piétonniers et vélos jaunes s’intégraient alors au paysage urbain. L’artiste souhaitait ainsi stimuler le débat sur l’accès à l’espace public comme lieu d’expression. En peignant des vélos dans la rue, par exemple, il entendait dénoncer l’omniprésence de l’automobile en ville. «Le vélo est un symbole politique pour ceux qui l’utilisent. Je voyais mon geste comme une forme d’activisme en faveur du cyclisme. En même temps, je dénonçais une culture de vitesse et de consommation véhiculée par l’automobile», explique Roadsworth. Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’artiste s’est questionné sur les valeurs et modes de vie de sa société, ce qui l’a poussé à créer.
La nuit, Roadsworth franchissait la mince ligne entre activisme et art. «Ça me procurait des sensations fortes parce qu’il y avait des risques. L’art légal est aussi risqué et excitant, mais d’une autre façon», explique l’artiste. Après son arrestation en décembre 2004, la Ville dépose contre le jeune homme 85 chefs d’accusations pour vandalisme et réclame 250 000 dollars de dommages et intérêts. Alors que la menace d’un dossier criminel pèse sur lui, Roadsworth bénéficie du soutien de la communauté artistique montréalaise et du public. L’artiste est finalement reconnu coupable, mais s’en tire avec une peine de travaux communautaires. Ironiquement, c’est à la demande du maire de l’arrondissement montréalais de Ville-Marie, Benoît Labonté, que Roadsworth a réalisé Légoisme en 2006 au Palais des congrès.
La rue comme canevas
En regardant les peintures de Roadsworth, on comprend toute la signification de son pseudonyme. «L’intention derrière le nom Roadsworth était de donner un autre sens à la rue et d’en rehausser la valeur. En plus, je trouve que ça sonne très british et aristocratique. C’est très différent des noms que se donnent habituellement les graffiteurs», explique Roadsworth. Son nom est également inspiré d’Andy Goldworthy, un artiste qui utilise différents objets de la nature pour créer ses œuvres, ainsi que du poète anglais Wordsworth.
Fasciné par l’art de rue de Roadsworth, le réalisateur Alan Kohl a tenté de connaître l’identité de cet activiste nocturne. «Personne ne savait qui c’était. Un ami m’a finalement révélé son identité et je me suis rendu compte que nous jouions de la musique ensemble! Je n’avais aucune idée qu’il peignait, raconte-t-il. Je lui ai demandé si je pouvais filmer ce qu’il faisait et il a accepté.» Le réalisateur n’a pu tourner que deux heures avant que Roadsworth ne soit arrêté par la police de Montréal. Le film d’Alan Kohl trace son parcours depuis son arrestation, en passant par les procédures judiciaires, jusqu’à sa consécration comme artiste de renommée internationale. Pour ce faire, il a suivi Roadsworth pendant près de quatre ans et a tourné plus de 200 heures. «Je n’avais pas de vision spécifique en filmant Roadsworth. L’intention de faire un long-métrage est venue beaucoup plus tard.» Le documentaire intitulé Roadsworth, franchir la ligne, sera présenté dans plusieurs salles de cinéma à partir du 22 novembre.
Dans une des scènes du film, le Montréalais d’adoption est invité dans la petite localité française de Trouville, où il peint quelques oeuvres. Là-bas, il amorce une réflexion très personnelle à savoir s’il se considère comme un artiste ou non. Aujourd’hui, il n’a aucune difficulté à se considérer comme tel. «J’avais des problèmes de confiance à l’époque. Je considère que l’art est une vocation noble qui demande investissement, application et savoir; je ne pensais pas être à la hauteur de cette vocation.»
Montréal dans la rue
Malgré sa réputation de ville très artistique, Montréal est paradoxalement ouverte et fermée à la fois, pense Roadsworth. «Il y a une attitude de tolérance zéro envers les graffitis et les affiches que les gens fabriquent chez eux, mais on rend disponibles des murs pour faire des graffitis. Si nous voulons vraiment être considérés comme une société libre, il doit y avoir de l’espace pour s’exprimer sans que ça coûte quelque chose.» Des verdicts favorables comme celui qu’a reçu Roadsworth montrent toutefois que la ville s’ouvre à l’art de rue, croit Alan Kohl.
Roadsworth ne considère pas ses oeuvres comme des graffitis, malgré certaines similarités dans la forme, comme le fait de violer la loi et d’utiliser l’espace public comme canevas. «Le mot graffiti est très politisé et chargé de sens. Les graffitis sont exclusifs parce qu’il faut faire partie de cette culture et connaître tout le contexte de l’oeuvre pour la comprendre, analyse Alan Kohl. Au contraire, l’art de Roadsworth est inclusif et accessible, parce qu’il possible de l’apprécier hors-contexte, pour ce qu’il est.»
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