À lire… d’une seule main

Photo Marie-Dominique Asselin

 

La littérature érotique: un univers de fantasmes capables de titiller jusqu’au moine sous sa soutane. Malgré la popularité du roman coquin au Québec, ses lecteurs se font plutôt discrets, préférant garder secrets leurs plaisirs coupables.


Isabelle Bujold, étudiante à l’UQAM en enseignement du français langue seconde, a découvert la littérature érotique à 16 ans, alors qu’elle cherchait un cadeau de Saint-Valentin original pour son copain. «J’ai acheté les Poèmes érotiques de Paul Verlaine et ça m’a plu.» Un monde nouveau s’est alors révélé à elle. «À cet âge, la littérature érotique avait un aspect de découverte. C’était éducatif sur le plan sexuel, sans être moralisateur.»

D’autant plus que l’interdit qui entoure le roman érotique charmait son esprit rebelle. «Ce ne sont pas des livres dont on parle sur la place publique. On se les passe au fond d’une ruelle», illustre-t-elle. Même si de grands auteurs, dont Verlaine, Apollinaire et le Marquis de Sade ont donné au genre ses lettres de noblesse, la littérature érotique demeure un sujet embarrassant pour ses lecteurs. «On n’en parle pas spontanément et on ne dit pas ce qu’on fait en les lisant…»

Le malaise provoqué par le roman érotique ne se limitent pas aux tabous superficiels, croit l’auteur Emmanuel Aquin, fils du célèbre auteur montréalais Hubert Aquin, qui a notamment écrit La chambranleuse: sexercices de style et L’Hymne à l’hymen: un livre dont vous êtes l’éros. «La littérature érotique se permet d’explorer la sexualité, dit-il. C’est un sujet très riche, mais très inquiétant. Dans la sexualité se révèle notre identité profonde. On a beau mettre un masque toute la journée, on ne peut mettre un masque au lit. Ça dévoile aux gens une partie d’eux-mêmes qu’ils n’osent pas révéler aux autres.»


Oser le roman osé

Les écrivains érotiques québécois ont paradoxalement peur d’oser et de provoquer, déplore Emmanuel Aquin. «J’ai commencé à écrire des romans érotiques, car j’avais beaucoup de frustration par rapport à ce genre. Au Québec, la littérature érotique avait tendance à être titillante, presque prude. Elle exploitait des fantasmes vieux comme le monde. Je trouvais que c’était de la littérature de matante.» C’est pourquoi il a fondé la maison d’Édition Point de fuite, dont la collection Point G rassemblait des romans érotiques québécois plus audacieux.

Isabelle Bujold, qui a davantage exploré les oeuvres érotiques françaises que québécoises, croit également qu’au Québec, le genre est beaucoup plus pudique qu’il ne l’est en Europe. «J’ai feuilleté de la littérature érotique québécoise, mais ça ne m’inspirait pas. C’était moins irrévérencieux. Le vocabulaire était plus pauvre. Ça faisait arlequin XXX.»

Fantasme populaire

 

Marie Gray, la reine du roman érotique au Québec, ne croit pas que le roman québécois doit nécessairement durcir le ton s’il veut faire durcir le lecteur. «Je lisais de la littérature érotique française, très noire et lourde, et cela ne ressemblait pas du tout aux Québécois. Je me suis dit: alors moi je vais le faire!»

 

L’ancienne chanteuse rock a donc délaissé le micro pour la plume et s’est lancée dans l’écriture olé olé. En 10 ans, elle a vendu 400 000 copies des nouvelles Histoires à faire rougir, dont le premier recueil est paru en 1994. Malgré la popularité de ses histoires aguichantes, on lui a reproché son côté populaire, voire cliché. «Le mot populaire peut être très péjoratif pour certains, c’est quelque chose que l’on devrait regarder de haut. Mais je n’ai aucun problème à écrire de la littérature populaire.»

 

Au diable l’élitisme pour l’auteure. Elle n’a pas honte de rejoindre monsieur et madame tout le monde, dont le couple aurait besoin d’un peu de piquant. «Il y a énormément de gens qui sont en couple et qui ont envie de trouver des façons d’agrémenter leur vie sexuelle. Ça permet un rapprochement, une complicité, un échange sur leurs fantasmes. Ça répond à un besoin de se rapprocher et de communiquer.»
Selon elle, suggérer plutôt qu’exhiber est la clé du succès. «J’ai toujours été plus sobre dans la couverture, j’ai laissé les titres parler d’eux-mêmes. Les librairies ne présenteront pas les couvertures si elles choquent les gens. Maintenant, les boutiques ont des sections de littérature érotique. Grâce à elles, les livres sont plus longtemps sur les tablettes.»

 

 

Vendre ou surprendre ?

 

Emmanuel Aquin regrette que la recherche de popularité se fasse aux dépens de l’audace. «Les Histoires à faire rougir, ça passe. Les gens ne les cacheront pas sur leurs tablettes et ça se vend même dans les supermarchés. Mais c’est une littérature érotique qui ne remet rien en question.» Il admet toutefois que ce genre vend au Québec.

 

Son pari pour l’audace a pour sa part coûté cher à l’écrivain. Après les ventes «catastrophiques» de certains de ses romans, il a dû passer les rênes sa maison d’édition à sa mère et a arrêté d’écrire des œuvres impétueuses. «J’ai naïvement cru que les gens auraient voulu explorer la littérature avec le roman érotique et que l’on pouvait s’amuser avec le genre. Les journalistes n’en avaient toutefois rien à fichtre et, en tant que petite maison d’édition, on n’avait pas une grande diffusion, donc les libraires ne se donnaient pas la peine de s’y intéresser.»

 

Aujourd’hui, Emmanuel Aquin a repris l’écriture de romans dits «sérieux». Son roman Phénix, paru en septembre 2008, jouit d’ailleurs d’une bien meilleure visibilité que ses livres osés.

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