Une coupe à blanc dans les rangs des profiteurs de la nature

À la veille du déclenchement d’une campagne électorale au Québec, le Conseil de l’industrie forestière fait circuler un document exprimant une série de demandes qui devraient permettre à ses membres de faire plus de profits avec la forêt publique qu’ils exploitent. Ils demandent la suppression d’une série d’obligations qu’ils ont contractées en échange de leur droit de profiter d’une ressource commune comme si elle leur appartenait. Dans l’ordre et le désordre, les entrepreneurs veulent cesser d’embaucher eux-mêmes les sylviculteurs qui réparent leurs dégâts suite aux coupes intensives, ne plus s’occuper de lutter contre les incendies de forêts et les problèmes d’insectes prédateurs, et mettre fin à leur entretien des chemins forestiers. Les industriels, en bons capitalistes, souhaitent de plus que Québec abandonne son projet de soumettre une partie des droits de coupe en forêt publique à un processus de compétitivité, semblable à un appel d’offres. En vertu de ce scénario, les volumes de bois disponibles auraient été alloués à l’entreprise la plus en mesure de valoriser la ressource, par exemple en utilisant le bois mort répandu sur le sol dans la zone de coupe. Les industriels de la forêt souhaitent plutôt se voir garantir un accès sans entraves à 75% des volumes de bois public disponibles au Québec.

Une économie de colonie
Cette série de revendications illustre par l’absurde l’incohérence de permettre à ce type d’industrie de se développer au sein d’une société. A fortiori si son économie a atteint un niveau de développement parmi les plus élevés et qu’elle possède des outils financiers publics lui permettant d’exploiter ce genre de ressources au profit du plus grand nombre. Le Québec étant une ancienne colonie britannique (et certains diront aujourd’hui canadienne ou américaine ou les deux) son économie s’est développée par la spoliation de ses ressources naturelles au profit d’intérêts économiques et politiques étrangers. Les entreprises anglaises, puis du sud de la frontière, ont acheté pour trois fois rien des droits d’exploitation sur les forêts, mines, bancs de poissons et cours d’eau de la province. Encore aujourd’hui, le fabricant d’aluminium Alcan a un bail exclusif sur le fond de la rivière Saguenay et des droits d’exploitation du vent sont mis en vente par le gouvernement québécois. Dans le meilleur des cas, ce sont des entreprises d’ici qui exploitent des ressources publiques pour leur seul profit. Mince consolation.
Encore aujourd’hui, les investissements des entrepreneurs dans le secteur des ressources naturelles sont perçus comme une grande chance qu’il faut à tout prix conserver, au prix de larges concessions aux industriels.
Pourtant, il n’y a aucune raison de céder les profits provenant d’une richesse commune à des entrepreneurs qui n’ont rien créé de nouveau et qui n’ont pris aucun risque lors d’investissements grâce auxquels ils étaient assurés de faire des profits. Les laisser s’enrichir de la sorte constitue une braderie tellement répandue qu’elle n’est remarquée par personne.

Un modèle de développement pour une société évoluée
Le contexte économique actuel devrait encourager les décideurs politiques du Québec et du Canada à repenser le modèle de développement qu’ils souhaitent mettre en place pour le vingt et unième siècle. Pour affronter la crise qui s’amorce, les profits cédés inutilement à l’industrie forestière pourraient être utilisés afin de maintenir des emplois de qualité en région et servir à des initiatives de diversification économique loin des grands centres. Cette nouvelle approche ne remettrait pas en question le droit à la propriété privée. Il le baliserait simplement à ce qui peut être légitimement reconnu comme un bien privé. Les ressources naturelles sont légalement publiques dans la Belle Province, comme dans l’ensemble du Canada.
Le Québec est assez évolué économiquement et politiquement pour s’affranchir enfin des barons du bois et autres rentiers économiques. D’ailleurs, l’immense majorité des pays possédant du pétrole et du gaz, souvent beaucoup plus vulnérables, ne cèdent plus leurs ressources aux riches étrangers.
La province, par le biais de puissantes institutions financières, telle la Société générale de financement et la Caisse de dépôt et placement, possède les capitaux nécessaires pour prendre la place des industriels demain matin si elle le souhaitait.
Les leaders politiques actuels ne permettent toutefois pas d’envisager des changements significatifs dans ce domaine à moyen terme. Pauline Marois veut «renouveler» la social-démocratie en lui donnant une bonne poussée vers la droite. Jean Charest a commandé dans les derniers mois quelques rapports à des experts dont les orientations politiques sont bien connues et qui prônent, entre autres, des hausses de tarifs généralisées pour les services sociaux et une privatisation du système de santé. Quant à Mario Dumont, il n’est même pas utile de s’attarder à ses idées, son parti étant à la veille de reprendre la place qui lui revient à l’Assemblée nationale: marginale et insignifiante.
redacteur.campus@uqam.ca

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