Notre éclipse

Le Québec s’est maintenant remis de ses émotions après l’éclipse totale d’hier, dont l’arrivée nous avait presque été aussi annoncée que celle du Messie. 

La Lune est passée devant le Soleil. On a enlevé nos lunettes pour une minute et demie. Il faisait clair, puis noir, puis clair encore. Bref, une éclipse!

OK. Je dois l’admettre, c’était quand même très cool!

À quand la prochaine?

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Lundi après-midi. Sur mon toit de la rue Émery, je m’installe sur une chaise pliante et j’enfile les (trop petites) lunettes que ma mère m’a achetées pour l’occasion (c’est à ça que ça sert les mamans, après tout). 

Tout autour, Montréal fait de même et se masse sur les toits, avec un p’tit joint, une p’tite bière, un cousin ou un p’tit frère. À une centaine de mètres, les étudiant(e)s du Vieux en remplissent les balcons, cette fois sans bannière de grève. Les couples se serrent lors du crépuscule et se frenchent dans la pénombre. 

Si l’idée d’écouter Total Eclipse of the Heart a certainement traversé mon esprit, j’ai préféré entendre la ville se réveiller alors que tombait la nuit. Et j’ai bien fait. 

Les klaxons ont retenti sur la rue Ontario au moment fatidique et la jeune femme à côté de moi n’a pu retenir ses cris d’excitation. L’émerveillement n’a pas de langue. Le « wouh » est universel.

Pour un instant, des millions de Québécois(es), de l’Estrie aux Îles, regardaient la même chose. Ensemble.

***

Je n’aime pas parler en tant que jeune. Mais je suis né en juin 2001. Je suis jeune. 

Et dans ma jeune vie, j’ai peu de souvenirs d’événements non tristes qui nous ont rassemblés comme cette éclipse. Entre le terne ambiant des blues post-référendaires (qu’ont brillamment racontés Les Cowboys Fringants) et le Canadien qui décide d’être pas bon, les grands moments de célébration civique se sont faits rares dans la Belle Province.

Objectivement, l’événement qui aura réellement marqué et rassemblé les Québecois(es) dans ma jeune vie s’est produit deux mois et demi après ma naissance, à New York. Même si je n’étais alors qu’un ti-bout de chou, je sais où j’étais le 11 septembre 2001. Tout le monde sait où il était. Certes, on s’est rassemblé(e)s, mais pas parce que c’était particulièrement jojo.

De plus, je n’ai jamais assisté à une parade de la Coupe Stanley, qui, historiquement, offre au peuple québécois une magnifique occasion de fêter. Ensemble. 

Oui, les Alouettes ont gagné la Coupe Grey à quelques reprises. Bravo les Moineaux! Mais avouons-le : on s’en torche pas mal de la Coupe Grey.

Les fins renards pourront aussi conclure que je suis trop jeune pour avoir « flashé mes lumières » après L’heure JMP ou pour avoir vécu les beaux jours de La Petite Vie, deux émissions qui rassemblaient des millions de téléspectateurs et téléspectatrices chaque semaine. J’ai eu le Bye-Bye, c’est vrai. Mais dans ces trois derniers exemples, on se rassemble, mais on le fait chez soi.

« Et 2012 ? », me direz-vous. C’était un début. C’est probablement la chose qui nous a rassemblé le plus en tant que société dans ma jeune vie. Mais ça n’a certainement pas uni tout un peuple, comme l’a fait l’éclipse d’hier. 

À travers les années, on a aussi su se rapprocher collectivement après la mort de personnalités marquantes de notre Québec. Dans tout son drame, le départ, en novembre dernier, de l’étoile filante qu’était Karl Tremblay, celui-là même qui nous a permis de passer à travers le trou noir du spleen des deux dernières décennies, est probablement celui qui se compare le plus à l’éclipse.

Puis, il y a eu la pandémie. Là encore, un événement certainement rassembleur mais pas des plus joyeux, même si j’ai naïvement cru qu’une circonstance aussi exceptionnelle pourrait nous renforcer et nous unir en tant que nation. Les petits dessins d’arcs-en-ciel, frappés d’un « Ça va bien aller » pas particulièrement prémonitoire, n’auront hélas pas eu raison de nous.

***

Dans ma jeune vie, on a aussi perdu notre espace public commun et collectif. Les réseaux « sociaux » (je déteste cet euphémisme) ont fragmenté nos mondes. On ne s’entend plus, on ne se voit plus, on ne se côtoie plus. 

Heureusement, dans les derniers jours, l’éclipse a scrappé les algorithmes comme elle a scrappé nos yeux. 

Si je suis tanné d’entendre parler de l’éclipse – et désolé d’ailleurs pour cette chronique –, j’aime l’idée qu’on ait tous et toutes vécu la même chose, de la même manière. On a non seulement partagé ce tango spatial, on en a aussi partagé l’anticipation, la démystification et la célébration. Ensemble. 

C’est l’obscurité qu’on a applaudie hier, et non l’obscurantisme que l’algorithmisation de nos vies a amené avec elle.

Personne ne s’est obstiné pour dire que l’éclipse n’arriverait pas ou qu’elle était un grand complot des reptiliens et/ou de Bill Gates. Personne n’a remis en question les risques pour les yeux et on a tous et toutes, volontiers, choisi d’enfiler nos lunettes de vieux cinéma 3D (dans mon cas, bien trop petites).

Notre bulle, on la partageait pendant un instant. Alors qu’on peut avoir l’impression de vivre des vies qui ne se ressemblent plus, on est revenu(e)s à une vérité commune et on s’est rassemblé(e)s le temps d’une éclipse.

À quand la prochaine?

Commentaires

3 réponses à “Notre éclipse”

  1. Avatar de Marie-Claire Côté
    Marie-Claire Côté

    Jeunes et moins jeunes avons appréciés ce moment et ce rassemblement quasiment humanitaire.
    Un beau texte et des idées plein la tête.
    Bravo

  2. Avatar de Christian Dugas
    Christian Dugas

    Ensemble. C’est le mot que je retiens! Et quand on le mentionne dans un contexte de célébration, d’occasion unique et positive, ça me fait réaliser que ces événements sont effectivement rarissimes depuis un bon moment. Dans mon cas, je peux dire qu’on était ensemble en ta… Entendre le « wouaaaah » de 100 000 personnes massées sous le soleil, lui derrière la lune, en extase au même moment, c’est inoubliable.

  3. C’était si humain comme moment!

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