Le prix de la culture

Depuis le 7 juin dernier, le gouvernement provincial tente de faire avaler à la population l’utilité d’un projet de loi interdisant la revente de billets de spectacles à un prix plus élevé que celui fixé par le vendeur autorisé. Si aux premiers abords, l’initiative semble louable, il se pourrait bien que les efforts pour faire adopter le projet de loi 25 ne soient en fait qu’un coup de marketing.

Car, on ne se le cachera pas, la culture, en général, va plutôt mal. Avec les nombreuses coupures entreprises par le gouvernement Harper et les conséquences d’une majorité conservatrice sur la colline parlementaire, il est donc normal de voir l’administration Charest tentée de gagner des points en misant sur les artistes eux-mêmes. Et cette mise en scène est tout de même bien réussie, le ministre de la Justice et parrain du projet, Jean-Marc Fournier, ayant réussi à rallier à sa cause une ribambelle d’associations influentes du monde culturel.

En se serrant les coudes, ministres et artistes ferment les yeux devant l’un des arguments massue que les courtiers spécialisés en revente n’ont cessé de scander au cours de la commission parlementaire sur le sujet qui se tenait les 12 et 13 septembre derniers. D’une simplicité presque enfantine, il dit à peu près ceci : «Fermez-nous si cela vous chante, le problème ne cessera pas d’exister pour autant!» En d’autres mots, la loi aura beau interdire la revente avec profit, il y aura toujours des groupes qui le feront. Et s’ils ne le font pas par le biais d’entreprises «légales et transparentes», ils le feront via les réseaux sociaux ou dans la rue, comme dans le bon vieux temps. Et au final, le projet donnera peut-être un léger coup de pouce aux artistes, mais changera essentiellement le mal de place.

La problématique est plus ancrée qu’il n’y parait. Si aider les artistes à percevoir les profits tirés des ventes de billets est une bonne chose, le problème réside davantage dans la manière dont le gouvernement libéral a choisi d’introduire ce nouveau débat. En effet, s’il est adopté, le projet de loi 25 ajoutera un amendement à l’actuelle Loi sur la protection du consommateur. Ainsi, si l’on se fie à l’argumentaire ministériel, la revente de billets nuirait beaucoup plus à ceux qui souhaitent consommer le produit culturel qu’à ceux qui l’ont mis sur pied.

Pourtant, le 13 septembre dernier, Maisonneuve en direct dévoilait sur les ondes de Radio-Canada que les Québécois dépensent en moyenne 88 $ par année en activité culturelle, toutes catégories confondues. Cela représente un spectacle d’envergure internationale au Centre Bell (environ 85 $) ou une pièce de théâtre et demi au Théâtre du Nouveau Monde (environ 50 $ chacune) ou environ deux shows d’humour (plus ou moins 40 $ chacun). Pas beaucoup plus. Et ça, c’est au prix régulier, parfois juché dans la plus haute rangée de la salle.

Au final, la vraie question que nos ministres devraient donc se poser n’est pas tant dans les poches de qui doit aller l’argent des billets de spectacle. Ils devraient avant tout se concentrer sur le nombre de gens qui ont les moyens de s’offrir ces billets. Car que ce soit au prix courant ou à celui fixé par la rareté du produit, la statistique du 88 $ par année prouve que ce ne sont que peu de gens qui se permettent ce genre de sortie ou qui y accordent de l’importance.

Cette constatation, l’Union des consommateurs y est, elle aussi, parvenue lorsqu’elle s’est prononcée contre le projet de loi 25. Selon ses représentants, plutôt que de cibler le vrai problème, à savoir que la plupart des gens n’ont pas les moyens de se payer des billets de spectacle peu importe qui les vend, le projet de loi protègera les artistes et autres producteurs d’évènements culturels. Et ce, même s’il est présenté comme étant une nouvelle ramification de la Loi sur la protection du consommateur.

Dans les faits, le gouvernement aura donc bien du mal à faire passer son projet, même s’il est chargé de bonnes intentions. À moins de le présenter pour ce qu’il est, soit un projet loi sur la protection des artistes, le consommateur moyen optera probablement pour le libre choix. Et malheureusement, ce ne sera peut-être pas d’acheter aux artistes. Devant le prix de la culture, le consommateur moyen décidera peut-être tout simplement de ne pas sortir de chez lui et d’attendre la rediffusion télévisuelle de l’évènement qui, elle, risque d’être gratuite.

Florence Sara G. Ferraris
Chef de section Culture
cultutre.campus@uqam.ca

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