D’une introduction fascinante et saisissante à de grandes questions éthiques telles que l’avortement, la pièce de théâtre Docteure guide les spectateurs et les spectatrices à travers les paradoxes du domaine médical.
La docteure Wolff, incarnée par Pascale Montpetit, bloque le passage vers la chambre d’une jeune adolescente sur le seuil de la mort à un prêtre qui souhaite lui donner les derniers sacrements. Succombant aux conséquences d’un avortement maison bâclé, la jeune patiente décède, ce qui crée une controverse qui débute à l’hôpital pour s’étendre ensuite sur le web.
La réputation de l’hôpital est en jeu. La Dre Wolff devrait-elle offrir des excuses publiques et faire valoir la place du christianisme dans l’institut ou ne rien dire ? Ces questions gravitent autour de la culture du bannissement (ou cancel culture) qui prend une ampleur de plus en plus importante au fil des scènes. Ce phénomène consiste à dénoncer publiquement une personne pour ses propos ou gestes dits offensants, menant ainsi à son boycottage dans l’espace public.
La pièce, mise en scène par Marie-Ève Milot, est une traduction de la pièce The Doctor (2019) de l’écrivain britannique Robert Icke, qui s’est lui-même inspiré de l’œuvre littéraire Professor Bernhardi (1912) d’Arthur Schnitzler.
Sujets sensibles passés sous le bistouri
Les transitions entre les scènes sont d’une grande légèreté, contrairement à la profondeur des thématiques qui se collent à l’actualité. Le tout s’enchaîne naturellement dans un décor minimaliste, mais élégant à la fois, grâce à la fluidité que crée le mouvement des rideaux sur scène.
Docteure aborde le sujet de l’avortement avec délicatesse en exposant les différents points de vue qui existent. La pièce ne se positionne pas, mais laisse plutôt le public se faire sa propre idée à travers les opinions de chacun et chacune des personnages.
Nora Guerch, qui joue le rôle de la ministre de la Santé, souligne la pertinence des thèmes évoqués par l’auteur. « C’est important parce que ce sont des sujets dont on n’est pas encore venu à bout. Même si ça fait mal, je pense que c’est essentiel d’en parler », exprime-t-elle en mentionnant que le rire peut faciliter la discussion.
L’un des points remarquables de la pièce est la présence d’un personnage transgenre interprété par une artiste non-binaire, une réalité qui est encore très peu visible au théâtre. L’interprète Alice Dorval amène ainsi une profondeur intéressante au rôle de Sami à travers la question de l’identité de genre. « Une de mes répliques importantes du spectacle, c’est de dire que [le genre] n’est pas un choix. Ce n’est donc pas quelque chose de fixe. Je pense que le genre se situe sur un spectre », affirme-t-elle.
Une distribution inversée
La grande force de l’écrivain Robert Icke à redéfinir les normes sociales classiques s’illustre dans l’inversement imposé pour le choix de la distribution. « Le spectateur est toujours en questionnement parce qu’on ne sait pas si l’acteur devant nous correspond à l’identité du personnage. […] L’auteur demandait que tel personnage noir soit joué par un acteur blanc ou que telle personne qui est un homme soit jouée par une femme », explique l’interprète Alice Dorval.
Cela peut entraîner une grande confusion chez les spectateurs et spectatrices qui ne se seraient pas informé(e)s sur la pièce avant la représentation. « À la fin, tout le monde comprend que c’est voulu. On se fait une opinion sur l’incident, mais dès qu’il y a des éléments qui s’ajoutent, on réalise qu’il y a d’autres enjeux [à prendre en compte]. C’est très intelligent », souligne Harry Standjofski, qui incarne le rôle du médecin Copley.
Les réflexions que ces choix entraînent sont intentionnelles et enrichissent la pièce. Il serait surprenant d’en ressortir indifférent(e). Robert Icke avait justement cet objectif en tête lors de la mise en scène de la version originale de The Doctor. « [Le but est] de faire ressentir au public certaines des questions posées par la pièce, plutôt que de se contenter d’y réfléchir intellectuellement à distance », précise-t-il en entrevue avec le Montréal Campus.
« Ce n’est pas parce qu’on détient des opinions qu’elles sont nécessairement amenées à perdurer ou à être figées jusqu’à la fin de notre vie. Les opinions sont aussi faites pour changer et c’est ça qui va changer la psyché collective », souligne Nora Guerch.
Docteure soulève de nombreuses introspections, et ce, tout en étant une source de divertissement captivante.
« J’aimerais bien dire que le théâtre va sauver le monde, peut-être que c’est un peu utopique, mais au moins, ça permet d’ouvrir la discussion », admet la comédienne.
Docteure est à l’affiche au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 18 novembre.
Mention photo :
*La pièce aborde le sujet du suicide. Si vous ou un(e) de vos proches est en détresse, vous pouvez demander de l’aide au https://suicide.ca/fr
Laisser un commentaire