Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023.
Alors que les effets des changements climatiques préoccupent les jeunes générations, certains et certaines décident de changer leurs habitudes de voyage. Entre l’environnement et le désir de découvrir le monde, le choix n’est pas toujours évident.
« J’ai beaucoup réfléchi à ça et je ne sais pas si j’appellerais ça un sacrifice. Pour le moment, je le vois plus comme une cohérence avec mes valeurs », explique Marianne Renauld Robitaille. La jeune femme de 26 ans est agente de projet en mobilisation pour ENvironnement JEUnesse, un organisme qui vise à conscientiser les jeunes aux enjeux environnementaux. Elle explique avoir diminué son nombre de déplacements en avion, pour « prioriser des voyages au Québec ».
En participant avec d’autres jeunes à divers ateliers de sensibilisation à la cause environnementale, elle remarque une culpabilité liée aux déplacements en avion. « Je constate sur le terrain qu’il y a beaucoup d’écoanxiété. Je pense que le fait que les gens voyagent beaucoup entraîne en partie cette écoanxiété ».
L’industrie touristique a un impact non négligeable sur le climat. Selon l’Agence Science-Presse, l’émission de CO2 d’une personne qui fait un vol transatlantique aller-retour est de 1,6 tonne. Ce chiffre représente près d’un cinquième de l’empreinte carbone moyenne d’un Québécois ou d’une Québécoise en une année, d’après les estimations de l’Institut de la statistique du Québec.
Un grand sacrifice
Arrivée à Montréal en 2020 pour faire sa maîtrise en environnement à l’Université de Montréal, Giuliana Merino, originaire du Pérou, est contrainte à utiliser l’avion pour visiter sa famille une fois par année. La trentenaire voit maintenant ses voyages comme une nécessité plutôt qu’un plaisir.
Préoccupée par la crise climatique, elle a aujourd’hui cessé ses voyages touristiques, mais ne regrette pas ses nombreuses aventures de jeunesse. « J’aime découvrir d’autres cultures. C’est vraiment important de faire des échanges [étudiants] pour savoir ce qui se passe de l’autre côté de la planète. [Ces voyages] m’ont apporté du développement autant professionnel que personnel », soutient-elle.
Étudiant au baccalauréat en enseignement secondaire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Isaac Truchon n’est pas prêt à renoncer à voyager. Il souligne l’ironie de vouloir diminuer son empreinte carbone lorsque « des millionnaires font plusieurs allers-retours en jet privé par semaine ».
Selon lui, le problème ne devrait pas reposer entièrement sur les épaules de la jeunesse. « Ça m’énerve de devoir me priver alors que des [individus et compagnies] font bien pire et que le gouvernement n’agit pas », fait-il valoir.
L’étudiant de 19 ans compte continuer à voyager une fois par année et croit aux bienfaits des voyages pour la jeunesse. Dans la vingtaine, « on se cherche », pense-t-il. Explorer le monde joue un rôle considérable dans la découverte de soi, renchérit Isaac.
De nombreuses mesures peuvent être adoptées pour réduire l’empreinte environnementale des voyages, rappelle le professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM Alain Adrien Grenier. « La première des choses : on voyage moins et on part plus longtemps, surtout si on prend l’avion », conseille-t-il. L’expert recommande aussi de minimiser ses déplacements en auto pour favoriser l’utilisation des transports en commun.
Le professeur critique l’idéalisation des voyages internationaux sur les réseaux sociaux. « La distance ne devrait pas être un facteur de valorisation de notre voyage. Tout le monde veut se distinguer, mais il n’y a rien de mal à faire la même expérience que des centaines de milliers de personnes [mais au Québec] », assure-t-il. M. Grenier encourage la population à voyager localement et à découvrir les milieux naturels proches de nous.
Le professeur émérite au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM Michel Archambault remarque une conscientisation grandissante au sein de l’industrie du tourisme. Comme dans plusieurs secteurs, le développement durable est de plus en plus mis de l’avant.
M. Archambault mentionne les nombreux problèmes qu’engendrent les changements climatiques pour le tourisme. « On le voit à l’heure actuelle dans les canaux de Venise où il n’y a plus d’eau. On le voit en France où on est rendus à trente-trois jours sans pluie et où les rivières sont asséchées », énumère celui qui est aussi le fondateur de la Chaire de tourisme Transat de l’UQAM. Il estime également que les activités hivernales au Québec comme les centres de ski devront s’adapter.
Voyager, un privilège
Alain Adrien Grenier tient à rappeler la chance qu’ont les personnes qui ont les moyens de voyager. « Si je suis en mesure de voyager, je suis privilégié. C’est un luxe, le voyage, ce n’est pas un droit », plaide-t-il. Le professeur ajoute qu’il faut être prêt à dépenser davantage pour soutenir le tourisme local et réduire son empreinte carbone.
M. Grenier explique qu’en « 2019, on était en “surtourisme” et qu’on a arrêté d’en parler à cause de la COVID. Mais dès que l’argent est là, on repart et on refait les mêmes conneries qu’avant ».
Michel Archambault ne croit pas que le nombre de voyageurs et de voyageuses à l’international diminuera. « Je pense que c’est un vœu, mais que c’est une utopie en même temps. Quand on regarde l’histoire des cinquante dernières années, il y a toujours eu une progression des voyages internationaux et de l’utilisation des avions », rappelle le professeur.
Alors que l’envie de voyager reprend chez plusieurs depuis la fin de la pandémie, Marianne Renauld Robitaille déplore le manque de changement dans les habitudes de voyage de la population québécoise. « C’est sûr que c’est populaire de voyager chez les jeunes. C’est parfois difficile de voir [des jeunes et des personnes aisées] qui ont recommencé à voyager. Ça peut être déroutant, ça peut être démotivant, mais j’essaie de rester fidèle à mes principes », affirme-t-elle.
Mention photo : Malika Alaoui | Montréal Campus
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