« de tous nos corps » : le cancer, d’une voix collective

De février à août 2020, l’autrice franco-canadienne Céline Huyghebaert réalisait une série d’ateliers de création avec des personnes ayant reçu un diagnostic de cancer. Deux ans plus tard, l’écrivaine sortait de tous nos corps, un recueil explorant les aspects invisibles et quotidiens de la maladie.

« L’idée était qu’on crée ensemble cette œuvre, et qu’au fur et à mesure des semaines, nous voyions où les voix des participants et des participantes nous amènent », témoigne Céline Huyghebaert à propos de l’élaboration de de tous nos corps.

À travers l’écriture, la photographie, des captations sonores ou encore des discussions en groupe, les huit membres du projet ont raconté leur histoire à Céline Huyghebaert.

L’artiste a ensuite rassemblé ces témoignages dans un recueil de 73 pages, qui a été lancé en juin 2022 à la librairie Le Port de tête. Six mois plus tard, en janvier 2023, Mme Huyghebaert réalisait une lecture publique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Un recueil singulier

de tous nos corps parvient à pleinement combiner différents types d’arts. Le texte est un mélange de prose et de vers. Des extraits sont écrits à la main et d’autres sont dactylographiés, et certains passages sont accompagnés de dessins minimalistes.

Le recueil sort des sentiers battus et évite des sujets parfois surexploités, comme la mort ou la perte de cheveux à la suite d’une chimiothérapie.

L’œuvre traite des peurs, « des gestes qui soulagent » (« prendre une douche en chantant », « une sieste avec mes chats »), des pertes (« ma sexualité », « mon optimisme », « ma vie professionnelle »), ainsi que des émotions suscitées par le cancer.

L’esthétique de l’ouvrage est simple : les pages sont épurées, et les seules couleurs employées sont le blanc et le bleu. Ce choix artistique apporte de la douceur durant la lecture et permet alors d’apaiser le lourd thème du cancer.

La section « le vocabulaire », s’étalant sur trois pages, est particulièrement intéressante. Ce lexique énumère, de A à Z, des mots qui sont fréquemment employés par les personnes atteintes du cancer.

Une publication par et pour les patient(e)s

Aucun nom des participants et des participantes n’est mentionné au fil du recueil. C’est un choix délibéré de Céline Huyghebaert, qui souhaitait alimenter de tous nos corps d’une voix collective, bien que l’expérience de chaque participant et participante diffère. « Le concept était aussi de perdre un petit peu le côté individuel des choses créées », raconte l’artiste montréalaise.

En entrevue avec le Montréal Campus, Mme Huyghebaert a tenu à spécifier qu’elle est « la créatrice » de de tous nos corps, et non « son autrice ».

« Je n’ai pas écrit une seule fois ma voix dans le texte. Je trouvais ça important de me retirer, puisque je n’ai pas vécu cette expérience-là, précise-t-elle. Pour moi, ce sont les participants et participantes qui sont les auteurs et les autrices du livre. »

Le respect envers ceux et celles ayant participé aux ateliers en 2020 était essentiel aux yeux de l’écrivaine. Durant la création finale de l’œuvre, Mme Huyghebaert continuait de s’entretenir en visioconférence avec le groupe afin de s’assurer qu’il était à l’aise avec ses choix.

« [L’œuvre] s’est construite en dialogue jusqu’au bout, confie l’autrice. C’était vraiment important pour moi que les participants et participantes se reconnaissent dans le livre, qu’ils et elles ne se sentent pas instrumentalisés ou dépossédés de leurs paroles », continue-t-elle.

Le projet de de tous nos corps a été réalisé avec l’appui du Centre Turbine et de la Fondation Virage. Cette dernière, affiliée au CHUM, offre un soutien sur le plan physique et psychologique à des personnes ayant reçu un diagnostic de cancer. De son côté, le Centre Turbine est un organisme de bienfaisance réalisant des projets artistiques. La mission du Centre est de créer des liens entre des artistes et diverses communautés (personnes aveugles, élèves du secondaire, etc.).

« On essaie toujours de créer des échanges », mentionne Sandrine Côté, directrice artistique et pédagogique du Centre Turbine. « L’artiste a des choses à apprendre aux participants, mais ceux-ci ont un vécu, ont un bagage, et ont aussi des choses à partager à l’artiste », souligne-t-elle.

Mention photo : Céline Huyghebaert 

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