Symptômes niés et récit mis en doute par des professionnel(le)s de la santé : le « gaslighting médical » touche principalement les femmes et les communautés marginalisées. Mise en lumière d’un phénomène qui témoigne du lien de confiance fragile entre le système de santé et la société québécoise.
« J’ai vécu une expérience vraiment douloureuse pendant mon ovulation en octobre dernier. Le premier médecin que j’ai vu pensait que je parlais de mes menstruations. Le second m’a dit que je m’inventais des problèmes », témoigne Mélissa, une Montréalaise de 30 ans qui n’a pas voulu dévoiler son nom de famille.
C’est après avoir insisté que la jeune femme a finalement obtenu une prescription pour une échographie pelvienne. Le praticien lui a montré les traces d’un kyste éclaté pendant la consultation, validant la douleur qu’elle a ressentie. « Je n’ai pas voulu retourner voir mon médecin pour parler des résultats avec lui », raconte-t-elle en soupirant. Ce témoignage est un exemple de « gaslighting médical » (ou « manipulation médicale »), un phénomène de plus en plus abordé dans les médias depuis quelques années.
Le New York Times publiait en juillet 2022 un guide pour savoir si une personne se trouvait en situation de « gaslighting médical », et comment réagir dans ce cas. Selon l’article, les femmes, les personnes racisées ou les membres de la communauté LGBTQ+ seraient plus susceptibles d’être touché(e)s.
À son origine, la médecine a été pensée par des hommes, et ce, avec des biais sexistes. C’est ce que raconte Elinor Cleghorn, médecin spécialisée dans l’histoire de la santé des femmes, dans son livre Unwell Women. Par exemple, Hippocrate, souvent considéré comme le père de la médecine occidentale, estimait que l’utérus était à l’origine des sautes d’humeur des femmes. Le mot « hystérie » tire d’ailleurs son origine du grec « hustera », qui signifie notamment « utérus ».
Un large spectre de victimes
Karina, une Montréalaise de 33 ans qui n’a pas souhaité révéler son nom de famille, déplore la manière dont son médecin l’a traitée pour des douleurs respiratoires. « [Le médecin] est très expéditif, me consulte à peine et me pose quelques questions sur ma vie privée. Il me dit que je ne devrais pas m’en faire pour des chums qui ne sont que des chums », relate-t-elle. La Montréalaise ne s’est pas sentie prise au sérieux, accusée par son médecin d’avoir subi un chagrin d’amour, ce qu’elle n’a « même pas vécu », insiste-t-elle.
Selon la psychologue clinicienne Isabelle Morin, les personnes présentant des troubles anxieux seraient aussi en première ligne du « gaslighting médical ». « J’ai souvent vu des personnes venir vers moi après une consultation chez le médecin, frustrées de ne pas s’être senties écoutées », illustre-t-elle. « Il est essentiel que les médecins considèrent la santé mentale au même niveau que la santé physique des patients », ajoute-t-elle.
Un terme controversé
La chirurgienne plastique Sandra McGill considère qu’il faut faire attention quand on utilise le terme « gaslighting médical », qui nuirait à l’image des médecins. « Je peux envisager des situations dans lesquelles ça pourrait arriver [le gaslighting médical]. Mais [l’utilisation] de ce terme est abusive », défend-elle.
Les médecins ont sacrifié de nombreuses années de leur vie pour étudier une profession au service des gens, rappelle la chirurgienne. Elle explique que ceux-ci et celles-ci ne sont pas « des dieux » capables de trouver la solution à tous les problèmes. Elle reconnaît qu’il y a de « mauvaises coquilles » dans la profession. « Mais il reste quand même dangereux de poser un diagnostic malsain sur les médecins », juge-t-elle.
Échapper à l’autodiagnostic
L’accès à n’importe quel type d’information sur Internet représente un fléau pour la pratique de la médecine, soulignent les deux professionnelles de la santé interrogées par le Montréal Campus. « Parfois, des patients se présentent chez le médecin en s’étant autodiagnostiqués, soutient Isabelle Morin. Le médecin peut être écœuré quand un patient pose trop de questions à cause d’un autodiagnostic qui l’a rendu anxieux », renchérit-elle.
Comme d’autres victimes, Mélissa affirme s’être sentie discriminée lors de ses consultations médicales. « J’étais dans un état d’esprit dans lequel j’en avais marre de la manière dont on me traitait », lâche-t-elle. Sandra McGill reste pour sa part pragmatique sur la question. « On doit retrouver un équilibre pour que le terme “gaslighting médical” ne soit employé pas à tort. Les médecins ne doivent pas mettre de côté les patients anxieux, et les patients doivent réapprendre à faire confiance au corps médical », plaide-t-elle.
Mention photo : Camille Dehaene|Montréal Campus
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