Seulement 37 % des oeuvres écrites par des femmes sont publiées par les maisons d’édition contre 54 % pour celles des hommes : c’est ce qu’a démontré une étude menée par trois universitaires, qui prouve que la parité entre les genres dans le monde littéraire québécois est encore loin d’être atteinte. Cette analyse a fait l’objet de la conférence Littérature québécoise : où en est l’égalité hommes-femmes ?, qui s’est tenue lors du Salon du livre de Montréal le vendredi 22 novembre dernier.
Après plus de deux années de travail, les universitaires Charlotte Comtois, Isabelle Boisvert et Karine Rosso ont dévoilé les résultats de leur étude commandée par l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) sur l’égalité hommes-femmes dans le monde du livre québécois. Karine Rosso, écrivaine et membre du conseil d’administration de l’UNEQ, affirme d’emblée que l’iniquité désavantageant les œuvres des femmes est bien présente, tant dans le processus d’édition que lors de la réception des livres. «Cette iniquité n’est pas due à une volonté propre, mais bien à des obstacles systémiques liés à des biais de perception qui avantagent les hommes, et ce à toutes les étapes de la chaîne du livre », souligne-t-elle en conférence au Salon du livre de Montréal.
L’étude en question se base sur quatre moments clés jugés comme les plus désavantageux pour les autrices : l’édition, l’aide à la création, les prix littéraires ainsi que la réception critique. La doctorante en études littéraires à l’Université de Sherbrooke, Charlotte Comtois, a révélé que, même si les neuf maisons d’édition qui ont accepté de participer reçoivent une part égale d’œuvres d’hommes et de femmes (environ 48 % chacun), c’est au moment de la sélection que les choses se corsent. En effet, seulement 37 % des créations féminines sont publiées contre 54 % pour les oeuvres masculines : un écart important lorsqu’il est comparé à l’étape précédente.
Il est également intéressant de souligner que, si les bourses sont statistiquement plus attribuées aux femmes, leurs valeurs sont moins élevées (en moyenne 9 000 $ pour les femmes contre 12 000 $ pour les hommes). Bien que les prix littéraires reçus soient globalement équitables, ceux obtenus par les autrices sont moins prestigieux.
L’étude vise également à démontrer l’iniquité quant à la réception critique des publications dans Le Devoir, La Presse+, Lettres québécoises et Nuit blanche. Charlotte Comtois a affirmé qu’au sein de ces publications, près de 37 % des articles portent sur des oeuvres de femmes contre environ 57 % pour celles d’hommes, le reste des publications traitant d’ouvrages collectifs.
Ce qui a accroché l’attention du public, c’est que le lexique du monde critique fait face à des stéréotypes genrés. Souvent, les mots utilisés pour désigner une oeuvre masculine seront « brillant », « génial », « intelligent » et « majestueux », alors que les femmes se voient conférer des qualificatifs tels que « douceur », « tendresse » et « délicate plume ».
Une table ronde féminine et engagée
À la suite de la présentation des résultats, une table ronde animée par la journaliste Pascale Navarro a convié trois personnalités féminines du monde littéraire pour débattre des résultats de cette étude : la journaliste et autrice Claudia Larochelle, l’éditrice Alexie Morin ainsi que l’autrice Marie-Célie Agnant. Pour Alexie Morin, cette étude était nécessaire et attendue par la communauté littéraire afin de « confirmer des évidences que l’on exprime depuis des années ».
« Ce que les données nous permettent de faire en ce moment, c’est de valider ce qui était souvent discrédité auparavant », a-t-elle poursuivi. Les résultats font consensus : les littéraires déclarent ne pas avoir été surprises par les statistiques.
Pascale Navarro a aussi mis en lumière la question de position d’autorité, souvent reliée à des figures masculines. « C’est comme si on était, en général nous les femmes, relayées au second plan, mais que c’était quelque chose dans l’air du temps », a renchéri Claudia Larochelle.
L’étude démontre effectivement que les postes décisionnaires dans le monde de l’édition occupés par les femmes sont bien moins nombreux que ceux occupés par des hommes. Selon Mme Larochelle, cela expliquerait l’iniquité dans la production éditoriale. Elle soutient également que les statistiques pourraient changer s’il y avait plus de femmes éditrices.
Pour conclure la discussion, les trois invitées ont déclaré à l’unisson que la réticence des maisons d’édition à publier des ouvrages écrits par des femmes vient de ce préjugé que « les livres écrits par des femmes sont des livres de filles ».
Claudia Larochelle, Alexie Morin et Marie-Célie Agnant se sont jointes pour mentionner les efforts faits par les éditeurs et éditrices depuis quelques années. Malgré les progrès qu’il reste à faire, elles restent toutes très optimistes pour les futures générations. « Je garde toujours en moi […] un espoir, car l’on peut voir que des changements se préparent. Il ne faut juste pas baisser la garde », déclare Claudia Larochelle.
Photo LAURENCE TASCHEREAU MONTRÉAL CAMPUS
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