Alors que le pluralisme culturel monopolise les débats publics, le cours d’éthique et culture religieuse (ECR) est encore mal perçu et parfois mal enseigné. Pourtant, les diplômés avec une spécialisation pour enseigner l’ECR ont toujours de la difficulté à se trouver un poste.
Sept ans après son arrivée dans les classes du Québec, l’ECR demeure mal-aimée par les directions d’écoles et par certains citoyens, ce qui nuit autant à la réputation de la matière qu’à l’embauche de spécialistes formés pour l’enseigner correctement.
À l’heure du multiculturalisme, il est plus important que jamais qu’une personne spécialisée puisse enseigner l’éthique et la culture religieuse, selon le directeur de la concentration en ECR du baccalauréat en enseignement secondaire de l’UQAM, Vincent Philippe Guillin. «Une bonne compréhension du contexte pluraliste actuel présuppose de bonnes connaissances sur la religion et l’éthique, indique-t-il. On ne peut pas simplement s’improviser professeur d’éthique et culture religieuse», lance-t-il.
Il existerait un problème de perception de l’éthique et de la culture religieuse au sein des directions d’écoles. «On relègue l’éthique et la culture religieuse au second rang. On la traite souvent comme une discipline moins importante que les mathématiques ou le français par exemple», affirme Vincent Philippe Guillin.
Diviser au lieu d’engager
Selon Éric Chevalier, qui enseigne l’ECR au secondaire depuis son implantation, on relègue la tâche à des professeurs qui enseignent d’autres matières, puisque l’éthique et culture religieuse est encore perçue comme un cours de «croissance personnelle» qui ne requiert pas de compétences spécifiques pour l’enseigner correctement.
«La tâche du professeur d’ECR est scindée et donnée à d’autres, au point où le besoin d’un professeur d’ECR finit par ne plus exister», lance Sébastien Jean, diplômé en enseignement avec une spécialisation en ECR.
Ce dernier explique que les personnes ayant une spécialisation en ECR ont aussi une perspective plus adéquate pour donner le cours. «On nous apprend à avoir un devoir de réserve et comment avoir des discussions idéologiques en restant le plus neutre possible. Un non-spécialiste pourrait très bien intégrer son opinion au contenu de son cours ou donner des informations inexactes ou hors contexte au sujet de l’islam par exemple», souligne-t-il.
Ces risques de biais ou de désinformation ont pour effet de nuire à l’image du cours d’ECR. «La portion de tâche d’enseignement de l’ECR refilée aux professeurs sans formation, qui peuvent donner le cours de façon parfois malhabile, donne une mauvaise réputation au programme d’éthique et culture religieuse», note Éric Chevalier.
Critiques à combattre
En plus de l’idée que l’ECR n’est qu’une matière de second rang, le cours est aussi critiqué car il est perçu comme l’ancien programme d’enseignement religieux «sous de nouveaux habits», selon Vincent Philippe Guillin.
Il existe aussi des regroupements comme la Coalition pour la liberté en éducation (CLÉ) qui s’oppose à l’imposition du cours d’ECR dans les écoles en affirmant que l’ECR brime le droit à la liberté de religion. La CLÉ accuse le gouvernement de «[décider] ce qui est moralement bien pour [les] enfants». Un article sur le site web de la Coalition intitulé Une critique du cours en 10 points suggère aussi que l’ECR «banalise la religion en plaçant toutes les religions, spiritualités, mouvements religieux et visions du monde sur un pied d’égalité [ce qui] peut conduire l’enfant à rejeter la religion […]». Le ou les auteurs de l’article ne sont pas spécifiés.
«Certains parents sont sceptiques face à l’ECR, mais ils me disent souvent que c’est intéressant finalement et qu’ils auraient aimé avoir un tel cours», raconte Éric Chevalier. Selon le professeur, ainsi que Sébastien Jean et Vincent Philippe Guillin, il y a énormément d’ignorance sur d’importantes questions religieuses et culturelles. Alors que le niqab et l’islamophobie défraient la manchette, ils sont d’avis que l’embauche d’enseignants avec une expertise en éthique et culture religieuse est cruciale.
Sur appel
Un an et demi après avoir complété sa formation à l’UQAM, Sébastien Jean se cherche toujours un poste stable d’enseignant en ECR. «C’est très lourd, long et lent comme processus, raconte-t-il. Je fais beaucoup de suppléance et rarement en éthique et culture religieuse», ajoute-t-il.
Les difficultés que peuvent rencontrer les diplômés qui aspirent à enseigner l’ECR ne datent pas d’hier. Éric Chevalier se considère chanceux d’avoir pu trouver un poste rapidement. «Je suis un peu l’exception à la règle. Beaucoup de collègues de ma cohorte et de celles qui ont suivi ont peiné à se trouver un poste», explique l’enseignant.
Le problème de la quête d’emploi difficile à la sortie de l’université préoccupe aussi les étudiants au baccalauréat, mais ces discussions à propos de la ne sont toutefois pas nombreuses, selon Sébastien Jean. «On en parle un peu et on évite de l’aborder», commente-t-il.
Même s’il existe selon lui une demande pour de nouveaux enseignants en raison des départs à la retraite, Sébastien Jean admet que trouver un poste dans son domaine demeure avant tout «une question de chance».
Photo : mbeo (flickr)
Laisser un commentaire