La photographie n’est pas en train de mourir. Développées par les avancées technologiques, ses fonctions retouchent notre rapport à l’intimité.
Le 21e siècle se caractérise par une abondance d’images inégalée. Téléphone intelligent dans une main, appareil numérique dans l’autre, il n’a jamais été aussi facile pour le commun des mortels de capturer les scènes du quotidien. Avec la complicité d’Instagram, de Facebook ou de Flickr, le partage immédiat redéfinit la photographie. La pellicule aura été sa chrysalide. Voici qu’à l’ère du numérique elle sillonne de nouveaux horizons.
Certes, il demeure un bastion de nostalgiques qui préfèrent l’argentique au numérique. Dans un monde régi par un rythme effréné, où le temps se raréfie, peu de photographes professionnels peuvent s’offrir le luxe de faire attendre le client, toujours pressé. «Avant, quand tu faisais un contrat de photo, la job était pour demain, le temps que la photo passe dans le développement, qu’elle se fasse imprimer. Aujourd’hui, quand tu fais un contrat de photo, la job est pour hier», illustre le photographe Guillaume D. Cyr.
Selon le président de la compagnie Lozeau Jean Simard-Lozeau, spécialisée dans la vente de matériel photographique, le changement le plus radical est venu avec l’arrivée du téléphone intelligent. «La caméra intégrée dans l’appareil facilite la prise de photos numériques et a entraîné un désintérêt pour le papier», explique-t-il. Cette accessibilité, doublée de l’instantanéité qu’offre le numérique, a accéléré la transformation de l’industrie de la photographie.
«Tous les marchés de la photographie ont subi des coupes de 30 à 35 %. Ce sont tous les inventaires qui ont dû changer», témoigne le président de Lozeau. La part du marché occupée par les divers produits chimiques, la pellicule et le papier s’est grandement amenuisée, remplacée par des moyens de stockage électronique. «Les impressions de photos ont diminué de plus de 50 %. Les gens ne veulent plus imprimer, ils préfèrent se fier uniquement aux disques durs et aux cartes mémoire», remarque Jean Simard-Lozeau. Il déplore que la durée de vie d’une carte mémoire soit hautement supérieure à celle de la pellicule, rendant son commerce moins fructifiant.
Reconstruire son image
Les appareils ne sont plus les mêmes, mais la photographie n’a pas complètement changé. Elle se développe simplement sur de nouvelles bases, d’après l’artiste et professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM, Éric Raymond. «Cette technologie témoigne d’une planète qui est en train de rapetisser progressivement. Ça développe un nouveau rapport à l’espace, et ça développe un nouveau rapport au souvenir», remarque-t-il.
Selon lui, la relation des gens avec l’image s’est altérée. Le caractère commun de l’art photographique, en ce sens qu’il appartient au peuple, a causé l’exacerbation de certains paramètres. «La réelle différence, c’est dans l’usage qu’on en fait, dans le rapport que la photographie nous permet d’articuler entre le privé et le public», note Éric Raymond. Il affirme qu’il n’y a pas de barrière entre la prise de vue et sa publication. «Je prends une photo, je peux la mettre tout de suite en ligne. Ça amène cette notion très forte des frontières entre l’espace public et privé. On ne vit pas entouré des images de son quotidien, de son intimité de la même façon», expose le professeur.
Désormais, l’image prend de nouvelles formes. «Une porosité est entrain de se développer. Les frontières entre le cinéma, la photo et la vidéo s’amenuisent. Les pratiques s’hybrident», indique Eric Raymond. La photographie n’est pas près de rendre son dernier souffle. «Il y a 150 ans, on prévoyait la mort de la peinture. Or, elle est aujourd’hui bel et bien vivante. C’est la même chose avec tous les médiums, dont la photographie», remarque-t-il.
Le photographe Guillaume D. Cyr explique que le débat revient chaque fois que les appareils évoluent. «Quand les premières caméras 35 millimètres sont apparues dans les années 1930, c’était la révolution. On disait que ce n’était plus de la photo, on chialait que tout le monde pouvait en faire.» La même chose s’est produite dans les années 1970 avec les caméras reflex à film 35 millimètres, très populaires et peu couteuses. «La photographie n’a pas changé. C’est seulement la technologie qui est différente», assure-t-il.
L’image de l’avenir
Plutôt que de s’éteindre, la photographie est promise à un bel avenir. «Il y a de plus en plus de festivals de photo au Québec, de jeunes photographes qui forment des collectifs. C’est un milieu en pleine effervescence», défend Guillaume D. Cyr. Le président de Lozeau voit lui aussi l’avenir de la photographie d’un bon œil et place son espoir dans la jeunesse. «Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes ont sous la main un appareil photo, contrairement aux générations précédentes qui y avaient beaucoup moins accès», explique-t-il. Il estime que la nouvelle génération apprivoise dès un jeune âge l’appareil photographique. «On espère qu’ils vont découvrir un intérêt marqué pour la photographie et vouloir s’investir dans leur passion. C’est la nouvelle génération qui va s’adapter à la nouvelle réalité», conclut-il.
Crédit photo : Alexandre Couture
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