Cocktail d’anecdotes et de romance, l’autofiction abreuve la société en perte d’identité collective.
Sous les projecteurs multicolores et la musique assourdissante d’une fête bien arrosée, Kikki se dénude. Les regards des convives, outrés, se rivent sur son corps nu et provoquent en elle un fou rire impétueux. En tenue d’Ève, les gens se préoccupent d’elle. Un sentiment de bien-être l’envahit. Si cette scène du roman Borderline met bel et bien en scène son auteure, Marie-Sissi Labrèche, et des éléments puisés d’expériences personnelles, les anecdotes narrées dans les romans autofictionnels ne sont pas toutes vraies. «Je ne suis pas comme ça dans la vie, glousse l’auteure québécoise au téléphone. Je suis mariée, j’ai un bébé et j’écoute Canal Vie.»
Pour Madeleine Ouellet Michalska, auteure d’Autofiction et dévoilement de soi, l’autofiction est une admixtion entre des faits réels et des faits inventés. «Tout est amalgamé dans l’écriture, précise-t-elle, posée. Ce n’est pas clair ce qui relève de la vérité et ce n’est pas destiné à l’être.» Même son de cloche chez Marie-Sissi Labrèche qui explique que l’autofiction consiste à s’utiliser comme personnage dans la fiction. «C’est un véritable pacte de jeu avec le lecteur et non pas un pacte de vérité comme l’autobiographie», soutient-elle, consciente de l’ambigüité que cela peut créer.
Le jour de ses 24 ans, les amis de la romancière avaient bel et bien loué un loft pour festoyer. Elle précise cependant, rieuse, qu’elle ne s’est pas mise à nue devant ses copains. «Un ami m’a appelé quand le livre est sorti, il ne se rappelait pas que je me sois déshabillée, raconte-t-elle narquoise. Il était triste d’avoir raté ça. Je lui ai dit que c’était inventé.» Celle qui a aussi été musicienne assure ne pas être mal à l’aise face à l’ambiguïté créée par ses œuvres. «Certains pensent que c’est vrai, d’autres pas, ricane-t-elle. C’est vraiment bizarre et des fois, je me mélange moi-même.»
L’important pour l’écrivaine est de rester authentique. Lorsqu’elle écrit, Marie-Sissi Labrèche met sa personnalité au profit de l’histoire qu’elle invente. «Que la situation soit vraie ou pas, j’ai à me débattre avec ce que je sais de moi.»
Pour Madeleine Ouellet Michalska, l’autofiction est à la fois le miroir et le produit de la société actuelle. Elle croit que l’émergence de ce genre littéraire est étroitement lié à la tendance à s’affirmer individuellement. «Devant l’absence de repères communs, les auteurs répondent à une situation d’urgence qui est celle de parler de soi, constate-t-elle. Ils doivent dire qu’ils existent.» L’écriture de roman autofictionnel est une véritable quête identitaire pour Marie-Sissi Labrèche. «Je voulais connaître la bibitte que j’étais, cette personne que je n’aimais pas tellement», confie-t-elle pensive. Elle avoue sans achoppement avoir appris à vivre en s’abandonnant à l’autofiction. «Je voulais savoir comment on vivait. Je voulais un mode d’emploi IKEA pour savoir comment ça marche.»
Exutoire personnel
Campée dans son propre rôle sous les sobriquets Léa ou Kikki, Marie-Sissi Labrèche puise son inspiration dans la colère. «Quand ça me gosse, j’écris, grommelle-t-elle. J’écris où ça fait mal. Je suis comme une publicité de Flex-O-Flex.» Dans un style qui décape, l’auteure de 42 ans relate son enfance éprouvante dans une habitation à loyer modique et se plonge dans des scènes de sexualité exacerbée. Madeleine Ouellet Michalska prétend que les thèmes abordés par l’autofiction dressent le portrait d’une époque. Selon elle, ce genre littéraire apporte une réflexion sur les problèmes existentiels de notre société.
Bien que l’imaginaire soit partie intégrante de l’autofiction, son écriture nécessite un certain exhibitionnisme. «Quand tu écris ce type de roman, tu ne peux plus te camoufler, lance l’auteure autofictionnelle. Tu te donnes encore plus que dans un roman.» Après le battage médiatique qui a entouré l’adaptation au cinéma de Borderline, elle a souffert d’une dépression. «J’ai été knock-out ben raide pendant un an, se remémore la femme de lettres. C’est épuisant tout cela. Regarde Nelly Arcand, elle s’est tuée.»
Marie-Sissi Labrèche ne croit pas que l’autofiction joue un rôle particulier dans la société. «Dans un monde où tout va vite, les gens ont soif d’authenticité, s’enthousiasme-t-elle. C’est ce qui pousse les gens à lire de l’autofiction.» Madeleine Ouellet Michalska y voit un certain danger. Pour elle, la mauvaise autofiction peut tomber dans le voyeurisme. «Les gens veulent maintenant tout entendre et tout voir», s’exaspère cette dernière. L’auteure de Borderline, elle, n’a trouvé que cette façon pour s’exprimer. Au bout du fil, Marie-Sissi Labrèche badine. Visiblement, l’autofiction est un jeu pour elle. «C’est pas tout vrai, tient-elle à préciser à nouveau. C’est cochon en maudit.»
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