En quête d’une vie meilleure, plusieurs immigrants sont prêts à se marier avec des inconnus pour obtenir leur laissez-passer pour le Canada. La lune de miel est parfois de courte durée.
1992, Algérie. Fatima*, alors âgée de 26 ans, reçoit une offre des plus alléchantes: un billet d’entrée au Québec en échange d’un… mari. Algérien d’origine et citoyen canadien, ce dernier était à la recherche d’une femme de son pays, aux mêmes valeurs que lui. Fatima a vu en lui une chance en or. Quant au coup de foudre, elle l’attend toujours.
«Je ne l’ai jamais aimé, je ne l’aimerai jamais, lance d’entrée de jeu Fatima, assise à une table du petit local communautaire de Rosemont. Je me suis accrochée à lui parce que je savais qu’il me ferait obtenir ma citoyenneté canadienne». Cette histoire n’est pas seulement la sienne, mais celle de centaines de personnes qui se contentent d’un mariage arrangé pour élire domicile au Canada.
En 2010, plus de 46 300 demandes d’immigration d’époux, conjoints de fait ou partenaires conjugaux ont été traitées, rapporte Julie Lafortune, porte-parole et conseillère en communications à Citoyenneté et Immigration Canada. De ce nombre, environ 16% des demandes ont été refusées en raison de preuves de la non-authenticité de la relation. Difficile cependant d’évaluer le nombre de mariages arrangés dans le lot, avertit Julie Lafortune.
Pour Fatima, l’appât de la résidence permanente a été un facteur d’encouragement. Comme le but ultime était de devenir citoyenne canadienne, l’Algérienne n’a pas hésité une seconde quand est venue la proposition de mariage. «Je l’ai séduit, j’étais la femme parfaite, j’ai cherché des astuces pour l’avoir, confie-t-elle, candide. Tout ça, c’était seulement pour venir au Canada, seulement pour améliorer ma qualité de vie». Après seulement un mois de fréquentation, les nouveaux tourtereaux étaient enfin unis. Les démarches d’immigration et de parrainage se sont vite enclenchées. «En un an, j’étais au Canada. On ne nous a posé aucune question, malgré le fait que nous n’avions passé qu’un mois ensemble.»
La police des noces
La lutte pour essayer de contrer les mariages-passeports se fait sentir dans les bureaux d’Immigration Canada, rapporte Julie Lafortune. Le pays a d’ailleurs augmenté le nombre de ses entrevues dans les bureaux à l’étranger où les cas sont plus fréquents.
Alors qu’en 1998 les demandes d’immigrations acceptées pour regroupement familial – catégorie qui englobe le parrainage – se chiffraient à 29,2%, le Canada a autorisé 21,5% des demandes en 2010. Une baisse importante, conséquence de la vigilance accrue de l’association gouvernementale.
Dans des cas comme celui de Fatima, il est délicat de prouver la bonne foi des mariés. Le contrôle des agents de Citoyenneté et Immigration Canada se fait surtout au niveau des intentions des couples. La tâche reste ardue en ce qui concerne le parrainage. «Les agents utilisent différentes techniques pour déceler un mariage frauduleux, notamment l’examen de documents, les visites et les entrevues avec les répondants et les demandeurs d’asile», précise Julie Lafortune. Comme chez certaines communautés il est normal de contracter un mariage arrangé, les agents d’Immigration Canada sont formés dans l’optique de reconnaître cette pratique culturelle, ajoute la porte-parole.
Faire la différence entre un mariage d’intérêt et un mariage sincère n’est pas une mince tâche. C’est à ce moment que David Chalk, avocat en immigration pour la firme Robinson, Sheppard & Shapiro, entre en jeu. Ce dernier tente de faire valoir la bonne foi du couple, dans la mesure de leurs traditions culturelles.
David Chalk souligne l’importance pour l’agent de comprendre la situation du couple. «Ce qui peut sembler banal dans certaines cultures peut paraître impensable pour un agent avec une mentalité occidentale.» L’avocat raconte d’ailleurs avoir eu une cliente du Bangladesh qui a tout abandonné pour se marier avec son cousin. «Elle avait vécu presque toute sa vie ici, fréquentait un Québécois, mais est partie se marier au Pakistan pour perpétuer la tradition familiale.»
Professeur au département des sciences de religions de l’UQAM, Mathieu Boisvert explique que dans des pays comme l’Inde par exemple, les mariages arrangés sont la norme. «La question de caste est très importante là-bas, on se marie entre gens de même classe sociale. Les parents qui arrangent les mariages cherchent à trouver à leurs enfants un partenaire qui va partager les mêmes rituels qu’eux». En Algérie, le pays d’origine de Fatima, il est fréquent de se marier pour être parrainé. «Je connais plein de gens qui ont vécu des histoires comme la mienne, confie-t-elle. C’est difficile d’être ici, mais c’est plus difficile d’être là-bas.»
Aujourd’hui, 20 ans plus tard, impossible de retourner en arrière. Mère de trois enfants avec l’homme qui lui a fourni son billet d’entrée, elle est aux prises avec d’énormes responsabilités. «Je n’avais pas l’intention de rester avec lui, avoue-t-elle, émotive. J’ai attendu la violence pour trouver une raison de partir, mais elle n’est jamais venue. J’ai l’amour de mes enfants et pour eux, je ne quitterai jamais leur père. Ma vie est ici maintenant.»
* nom fictif
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