Sur sa boîte vocale, Jean-François Lépine s’exprime en français, en anglais et en mandarin. Montréal Campus a passé une heure sur terre en compagnie du journaliste qui s’efforce d’amener le monde aux téléspectateurs d’ici.
Vingt-cinq février 2011, la place Tahrir est un champ de bataille. Dépêché en Égypte pour couvrir la révolte qui ébranle le pays, Jean-François Lépine et son cameraman sont pris au beau milieu d’échauffourées entre manifestants et fidèles de l’ex-président Hosni Moubarak. Les coups pleuvent. Les issues se referment. Alors qu’ils se croient perdus, les deux hommes sont sauvés in extremis par des soldats égyptiens. Plus d’un mois après cette désagréable expérience, le journaliste a vite repris du service, comme en témoignent son agenda et le désordre de son nouveau bureau. Mais le souvenir de la place Tahrir est encore vif, et remuer le couteau dans la plaie n’aide pas à la cicatrisation. «On en a assez parlé, on a fait plusieurs entrevues. Maintenant, c’est le temps de passer à autre chose.»
La soixantaine bien assumée, la Terre continue de tourner pour Jean-François Lépine, et pas question qu’elle tourne sans qu’il soit aux premières loges des événements qui façonnent son histoire. Entre le séisme en Haïti, celui au Japon et le printemps arabe, les derniers mois n’ont pas été de tout repos. À la barre de l’émission Une heure sur terre, lancée en 2009 sur les ondes de Radio-Canada, Jean-François Lépine veut amener ses compatriotes à élargir leurs horizons. Au Canada, seul un dixième de l’information est consacré à l’information internationale, selon la firme Influence Communication. Pour Lépine, la planète est grande dans la mesure où elle est complexe. Cependant, le fait que tous les humains soient interdépendants la rend petite.
«Une image que j’aime bien, c’est celle d’un réalisateur dont j’ai malencontreusement oublié le nom: “L’information, c’est une fenêtre sur le monde et le monde, c’est comme une maison. Quand on ferme les fenêtres, ça pue et il fait noir.” On ne peut pas ignorer ce qui se passe ailleurs dans le monde en sachant que ça peut avoir des répercussions ici», dit avec conviction celui qui travaille pour Radio-Canada depuis 40 ans.
Sur les traces de son héros
Fils de médecin, Jean-François Lépine a grandi dans un milieu aisé. C’est à dix ans, en découvrant les aventures de Tintin, le héros de son enfance, qu’il sait qu’il veut devenir journaliste. Le Lotus bleu, son album préféré, allume son intérêt pour la Chine. Mais plutôt que de se jeter directement dans le monde médiatique, calepin à la main, il amorce des études en sciences politiques à l’Université Laval. Il poursuivra avec une maîtrise dans le même domaine à l’UQAM. «Les études, ça permet de se structurer le cerveau et d’avoir des idées claires.» Il continue d’ailleurs de s’impliquer au niveau universitaire à titre de président de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM.
Son parcours universitaire a finalement été fructueux, vu la longue liste de récompenses qu’arbore son CV. En 1986, la Communauté des télévisions de langue française lui décerne le prix du meilleur documentaire de l’année pour son film La Chine, dix ans après Mao. Ce ne sera que le premier d’une longue série d’honneurs: sa carrière est jalonnée de quatre prix Gémeaux et du prix de journalisme Judith-Jasmin en 1989.
Un brin nostalgique, le correspondant dans l’âme se souvient avec bonheur de ses années en Chine, en France et à Jérusalem. Mais le père de famille admet qu’elles ont mis à rude épreuve les liens familiaux.
«Quand j’allais dans des situations dangereuses, c’était plutôt inquiétant pour ma compagne [la comédienne Mireille Deyglun]. Mais mon fils et ma fille étaient trop jeunes pour comprendre.» Aujourd’hui, sa fille de 16 ans suit ses faits et gestes lorsqu’il part en reportage. «Pour la première fois, quand j’étais en Égypte, je pense qu’elle a pris conscience du danger.» Un prix à payer pour une liberté d’action dont seuls les journalistes à l’étranger disposent, une fois sur le terrain. «S’occuper d’une émission, c’est complexe. Mais sur le terrain, avec mon cameraman, c’est le bonheur de vivre à l’étranger. J’ai mon budget et je décide de ce que je fais avec. Je suis mon propre patron.»
Parfum de lotus
Influencé par ses nombreux amis comédiens, pour qui la retraite ne s’impose quand lorsque le corps n’obéit plus, il ne compte pas ranger calepin et micro de sitôt. Chose certaine, sa retraite sera fidèle à ses premiers amours, en Chine. Le reporter compte se consacrer à mille et un projets pour lesquels, en bon journaliste, il ne donne pas trop de détails pour l’instant. «Les Chinois adorent profiter de la vie. Ce sont de grands mangeurs, des amoureux très sentimentaux. Ils ont une littérature à découvrir et une poésie remarquable. Ils sont aussi extrêmement travaillants», énumère-il, intarissable. À l’image du monde qui tourne sur lui-même, Jean-François Lépine bouclera donc sa carrière là où elle a commencé, au sein de l’univers du Lotus bleu.
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