Pourquoi est-ce que les étudiants se contentent de militer pour un gel des frais de scolarité, pourquoi pas pour la gratuité ? L’actuel débat sur la hausse des frais est important, mais en cache un autre beaucoup plus profond.
Noémie est une finissante en littérature plutôt dans la norme. Comme beaucoup, elle travaille d’arrache-pied au café du coin pour payer ses études. Sa mère coiffeuse et son père absent sont incapables de l’aider. Noémie prend un verre de temps en temps. Moins souvent ces temps-ci; elle fait attention à ses finances. Comme la plupart des universitaires québécois de premier cycle, elle terminera son BAC avec plus de 10 000 dollars de prêts à rembourser.
Le dégel des frais en éducation était prévisible. Mais l’acceptation par les étudiants de l’idéologie dominante dite de droite de l’utilisateur-payeur -c’est-à-dire payer pour étudier- est plus surprenante selon plusieurs chercheurs. Ces derniers s’étonnent que les regroupements étudiants québécois majoritaires ne demandent qu’un gel des frais et non une gratuité scolaire. «La question n’est pas de savoir si on va augmenter ou baisser les frais de scolarité, mais si on considère l’éducation comme un bien public!», s’insurge Bernard Élie, économiste à l’UQAM. Il accuse le gouvernement de considérer les études comme un bien individuel taxable.
Le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Philippe Hurteau critique cette idéologie devenue dominante. «Québec augmente la tarification des étudiants par manque de vision à long terme», même si le gouvernement dit qu’il augmentera aussi les prêts et bourses, déplore l’auteur de plusieurs études sur la surtarification. Il croit que les étudiants, en demandant un gel des frais de scolarité actuels, auraient abdiqué des idéaux plus grands de gratuité, donc de démocratisation du savoir.
Les étudiants sont pourtant d’accord avec les chercheurs sur plusieurs points. La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), qui regroupent 160 000 membres, fuient l’idéologie dominante comme la peste. Ils s’accordent pour dire que le gouvernement Charest va dans la mauvaise direction depuis la dernière hausse des frais de scolarité de cent dollars par année de 2007-2008 à 2011-2012. Mais leurs membres ont accepté le fait qu’ils ne paieront plus ce qu’ils payaient en 2006, et que la gratuité ne sera pas une revendication.
Selon la FEUQ, il est utopique de croire que le gouvernement actuel pourrait accepter une telle mesure. C’est pourquoi ils ne demandent pas une gratuité scolaire. «On propose des solutions concrètes à des problèmes concrets», lance le président de la fédération, Louis-Philippe Savoie, pour mettre fin à la discussion. Le pragmatisme est à la mode à la Fédération collégiale aussi. «En 2010, le gouvernement veut une hausse de 250%, il est difficile de lui demander d’annuler les frais complètement», croit le président de la FECQ. Sans affirmer qu’une gratuité est impossible, Léo Bureau-Blouin considère qu’un plafonnement des frais est la seule revendication réaliste en ce moment.
Seule l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), critiquée pour ses penchants gauchistes, ose demander la levée totale des frais au nom de ses 40 000 membres. Ils aiguisent leurs armes avec les données d’une étude de Valérie Vierstraete, professeure en administration de l’Université de Sherbrooke, commandée par le gouvernement libéral lui-même en 2007. Selon l’étude, l’indexation des frais à la moyenne canadienne engendrerait une baisse de 21% des étudiants postsecondaires québécois, à cause d’une dette d’étude qui passerait de 10 000 à plus de 26 000 dollars. Malgré ces données, le gouvernement a tenu son bout du bâton et a dégelé les frais de scolarité la même année. Ce chiffre est devenu le leitmotiv du mouvement étudiant: augmenter les frais fermera des portes pour les moins nantis.
La même étude commandé par le gouvernement affirme que la gratuité scolaire engendrerait une hausse de 12% d’étudiants postsecondaires. C’est là où la plupart des représentants étudiants n’osent pas se mouiller. Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS, croit que «c’est au mouvement étudiant de faire son travail» et de demander la gratuité.
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