Les personnages de romans jeunesse, tels que Picou et Jiji, peinent à se tailler une place dans les pages des quotidiens québécois. Une réalité dure à avaler pour plusieurs auteurs qui souhaitent donner ses lettres de noblesse à cet art en manque de reconnaissance.
La littérature jeunesse représente l’un des marchés les plus rentables pour l’édition québécoise. Son chiffre d’affaires annuel est estimé à plus de trois millions de dollars. Les Éditions Milan publient à elles seules 366 nouveautés par année, quasiment une nouveauté par jour.
Malgré le succès commercial de la littérature dédiée aux jeunes de 3 à 13 ans, les médias québécois semblent la bouder, soutient Yves Nadon, auteur et éditeur aux 400 Coups. Selon lui, la raison de cet oubli est simple: les quotidiens d’ici la considèrent comme une création inférieure et récréative. «Ils démontrent une grande ignorance, maintient-il. Une ignorance due au fait que dans leur jeunesse, ils ne l’ont côtoyée que par la bande dessinée, comme la plupart d’entre nous.»
Pour la responsable des pages Lectures à La Presse, Josée Lapointe, ce n’est pas que les médias ne «veulent» pas parler de littérature jeunesse, c’est qu’ils ne «peuvent» pas. «Notre espace est restreint. La Presse n’a plus de cahier Livres et plus d’édition le dimanche, explique Josée Lapointe. La couverture en littérature est difficile: lire demande du temps, et le temps qu’on consacre à démêler les meilleurs romans jeunesse, on ne peut le consacrer à la littérature adulte. C’est pourquoi la littérature jeunesse est un beat en soi.» Elle ajoute toutefois qu’une journaliste pigiste a été embauchée cet automne, afin de suivre le genre littéraire de plus près.
Chicane médiatique
Andrée Poulin, ancienne journaliste et auteure jeunesse depuis 1983, a publié un total de 29 albums et romans. Après toutes ces années dans le monde de l’édition, Andrée Poulin s’indigne du peu de place accordé à la littérature jeunesse par les médias.
La littéraire aimerait aussi que les quotidiens privilégient les romans québécois. Elle donne comme exemple un texte de Mathieu Perrault, journaliste au quotidien La Presse, publié le 15 juillet dernier. «L’article présentait 11 titres de livres jeunesse, tous des traductions d’auteurs américains ou britanniques, s’exclame la littéraire sur son blogue. Aucune suggestion de roman québécois. Dieu sait pourtant qu’il se publie chaque année au Québec une kyrielle de romans.»
Même son de cloche pour Anne Villeneuve, auteure et illustratrice, qui a remporté plusieurs prix, notamment le prix TD du meilleur livre canadien en 2009 pour l’album Chère Traudi. «Tu ne sais jamais comment ton livre est reçu, tout simplement parce que personne n’en parle, dénonce la Montréalaise de 44 ans. La demande est forte et les livres ne cessent d’être produits. J’ai du mal à comprendre alors pourquoi les journalistes ne s’y intéressent pas.»
Pourtant, le contenu des livres jeunesse ne se limite pas à de simples histoires enfantines. Chère Traudi, écrit et illustré en 2009 par Anne Villeneuve, raconte la jeunesse d’un garçon sous l’occupation allemande, lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’œuvre, l’artiste québécoise met en avant la rencontre de l’homme avec l’ennemi, un thème particulier pour un lectorat de 9 ans et plus. «Un album comme Chère Traudi ne se réalise pas du jour au lendemain. Les gens croient qu’un livre jeunesse est facile à écrire parce qu’il contient moins de mots qu’un roman, regrette Anne Villeneuve. C’est une des raisons pour lesquelles cet art littéraire n’intéresse pas les médias, mais il ne faut pas le prendre à la légère.»
Un avis partagé par Manon Richer, professeure de littérature jeunesse à l’UQAM. Selon elle, la rédaction d’un album est un vrai casse-tête. «L’auteur doit traiter un sujet qui concerne et intéresse les enfants, avec des images appropriées venant compléter l’histoire, explique Manon Richer. En fait, plus le texte est court, plus la tâche est difficile!»
Une présence contestée
Nicholas Aumais voyage aux quatre coins de la province afin de participer à plusieurs salons du livre. Le conseiller littéraire chez Bayard Canada a aussi créé un blogue, Les lectures de Nicholas, afin d’outiller les bibliothécaires et enseignants des dernières nouveautés jeunesse. Malgré les remontrances des quelques auteurs et illustrateurs québécois, Nicholas Aumais pense sincèrement que les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais autant lu. «On trouve des étagères entières de livres jeunesse dans les librairies et les bibliothèques, plus que n’importe quel autre type de littérature.»
Auteur et éditeur aux 400 coups, Yves Nadon est en complet désaccord avec Nicholas Aumais. Dans une chronique d’opinion publiée dans le magazine culturel Voir, il accuse les médias francophones de faire du Québec une province où la littérature jeunesse n’est pas prisée. Selon lui, la société blâme ainsi les enfants de ne pas savoir lire et écrire, de ne pas être à la hauteur tout simplement. «Le message véhiculé par tous est assez clair: sachez lire, mais ne devenez pas des lecteurs.»
La responsable des pages Lectures de La Presse, Josée Lapointe, sourit à l’écoute de ses propos. Selon elle, il est facile de rejeter la faute sur les médias. «Les journaux écrits sont aux prises avec une diminution d’espace dans toutes les sections. On ne peut se fier sur eux pour faire lire les jeunes et la population en général. Ce n’est pas leur rôle. Ils sont une courroie de transmission dans la mesure de leur moyen.»
Ce qui décourage le plus les auteurs, c’est le fait de ne pouvoir partager avec le public la richesse de leur travail. «Lire un livre, ce n’est pas comme regarder la télé. L’imaginaire y est plus fort et l’enfant est là pour découvrir le monde à sa façon. Je ne me lasserai jamais de dessiner et d’écrire pour eux, exprime Anne Villeneuve. C’est un métier incroyable. Dommage que personne ne soit au courant.»
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Les Aventures de Perrine et Charlot paraît en 1923. Il s’agit du premier livre dont les personnages principaux sont des enfants. Au Québec, ce roman de Marie-Claire Daveluy est considéré comme la première œuvre de littérature jeunesse. Malgré une baisse de production importante durant la période Duplessis, le genre littéraire connaît un essor important dans les années 1970, avant l’arrivée, trente ans plus tard, des premières maisons d’édition consacrées entièrement à la jeunesse.
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