Transporté par le vent

Courtoisie de Nicolas McCrae

Des étudiants montréalais ont mis au point la première voiture à propulsion éolienne d’Amérique du Nord. Ce bébé est le dernier-né d’un mariage heureux entre étudiants ingénieux, université comblée et entreprises opportunistes.

Sur les pistes de Mirabel, le véhicule à l’essai s’élance. Le vent se fait entendre dans les pales de l’éolienne. L’engin s’emballe et accélère. Le pilote en a le souffle coupé. «T’es juste à 11 km/h, mais c’est le sentiment de te dire que personne sur le continent n’a conduit une voiture comme ça avant qui donne cette impression», explique Nicolas McCrae, fondateur du projet Chinook.

Ce véhicule unique en Amérique est l’aboutissement de deux années de travail au sein du club qu’il a fondé en 2009 à l’École de Technologie supérieure (ETS) de Montréal. Peu séduit par les clubs existants à son entrée au baccalauréat en génie mécanique, il s’est lancé dans ce nouveau projet qui réunit aujourd’hui 21 membres.

Nicolas McCrae, qui en est à sa troisième année de baccalauréat, explique que les clubs permettent de mettre en pratique les connaissances acquises dans le cursus universitaire. «Les cours, ce sont comme des spaghettis que tu manges, c’est un tas de chose que tu avales, mais ça reste une grosse bouillie dont tu ne sais pas quoi faire, compare-t-il. En club, tu digères, tu prends ce dont tu as besoin et tu l’appliques.»

L’établissement affilié à l’Université du Québec leur fournit un peu plus de 20 000 $, soit 25% de leur budget. Plus d’une vingtaine de commanditaires ont aussi contribué au projet, principalement grâce à des dons de matériaux. Le club Chinook n’est pas le seul à faire dans le PPP: en tout, 22 groupes de l’ETS courtisent les entreprises de la région pour mener à bien divers projets d’ingénierie. L’université met à la disposition de ses clubs un budget total d’environ 300 000 $ par année, qui sert principalement à défrayer le transport et à assumer les autres frais liés à la compétition. «Air Canada ne commandite pas leurs billets d’avion, plaisante Normand Trudel, secrétaire général de l’ETS. L’aide est liée aux résultats en compétition.»

En plus du budget, les étudiants ont accès à toutes les machines de l’école ainsi qu’aux immenses ateliers. Cette philosophie a permis à l’établissement de tirer une grande notoriété mondiale. «Les professeurs ont intérêt à aider les clubs étudiants, croit Nicolas McCrae. C’est une des meilleures publicités pour l’école.» Normand Trudel est lui aussi ravi de voir la notoriété que les clubs ont su apporter à l’école. «L’ETS est devenue l’équipe à battre dans certaines compétitions, aux côtés de Conwell ou Virginia Tech», ajoute-t-il.

Le secrétaire général de l’ETS soutient même que ce sont les clubs qui attirent les étudiants. «Ce sont des techniciens qui entrent ici. Ils pourraient déjà travailler pour un bon salaire, mais ils sont plutôt venus ici, explique Normand Trudel. Et s’ils ne peuvent pas mettre en pratique leur savoir-faire, on risque de les perdre.»

Étienne Saint-Laurent, chef d’équipe-moteur au club Formule SAE – un championnat organisé par un consortium d’entreprises automobiles –, est un de ces étudiants. «Ça me prend des projets comme ceux-là pour me motiver à aller à l’école», maintient-il. L’étudiant est d’ailleurs persuadé que son engagement portera ses fruits. «La compétition me met en contact avec des gens dans l’industrie. On ramasse des cartes d’affaires, on se fait connaître dans le domaine très fermé de la course automobile.»

Un nouveau souffle
En plus d’une main-d’œuvre plus qualifiée, les entreprises trouvent dans ces projets un moyen d’approfondir les connaissances technologiques actuelles. «Les compétitions sont organisées par des associations nationales de génie, décrit Emmanuelle Berthou, agente d’information. Elles mettent au défi les universitaires, inspectent les modèles et lorsqu’elles peuvent quelque chose pour l’industrie, leur objectif est atteint.» Le secteur industriel se paie aussi une publicité en participant à la conception des prototypes. L’étudiant Nicolas McCrae est persuadé que le projet Chinook est une belle occasion pour la relève en ingénierie de s’intéresser à de nouvelles perspectives – écologiques notamment – dans un milieu jugé plutôt vieux jeu. «Pour un commanditaire, c’est intéressant de montrer que tu appuies ces initiatives-là, car ça peut montrer une volonté de l’entreprise d’aller chercher au-delà du conventionnel», juge-t-il.

Chez RPM Développement Durable, entreprise de consultation en développement durable et commanditaire des pales du Chinook, le directeur Réal Migneault a voulu aller plus loin qu’une simple contribution financière. «Nous voulions que le club soit carboneutre. Nous avons compensé son impact environnemental en achetant des crédits carbone par l’entremise de PlanetAir, indique-t-il. Cet argent est alors réinvesti dans des projets de développement durable.» Il admet avoir investi dans le projet en partie pour avoir un peu de visibilité, mais espère surtout faire avancer la recherche. «Ce n’est pas demain qu’on verra des voitures à éolienne sur la route, conçoit-il. Mais leurs travaux sur les éoliennes de petite taille ouvrent des portes prometteuses, comme dans l’autoproduction d’énergie.»

Malgré les enjeux technologiques et financiers auxquels les étudiants doivent faire face, Emmanuelle Berthou croit que c’est avant tout par pure passion qu’ils relèvent le défi. «Il faut souvent venir chercher les étudiants à deux heures du matin pour les faire sortir de leurs ateliers», raconte-t-elle en rigolant. Nicolas Mc Crae, quant à lui, avoue retomber en enfance lorsqu’il s’amuse avec son équipe. «Quand on est gamin, on veut jouer avec des Lego. Mais là, on est des adultes, alors on aurait l’air un peu con avec des Lego.»

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Sous le vent de Den Helder
L’équipe Chinook de l’ETS a fini deuxième sur 14 au concours Racing Aeolus qui s’est déroulé du 17 au 21 août à Den Helder, aux Pays-Bas. «Comme on vient de l’Ouest pour les Européens, on voulait être leur Chinook, le vent qui balaie tout sur son passage», confiait Nicolas McCrae avant le départ. Pour leur première prestation, le pari a été presque tenu. Avec un score de 50,1% – c’est-à-dire que leur voiture a roulé à un peu plus de la moitié de la vitesse du vent – ils ont été battus par le Danmarks Tekniske Universitet (DTU) de Copenhague, au Danemark, et son score de 51%.

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