Apparence soignée, sourire avenant, tenue irréprochable : derrière l’exigence du paraître demeure une injonction au charme dans le milieu du service en restauration, selon plusieurs témoignages recueillis par le Montréal Campus.
« Quand je mets des petits shorts quand je travaille, ça a un impact [sur le pourboire] », confie Élisabeth Smith, étudiante en sociologie à l’UQAM.
Élisabeth travaille depuis un an au Paquebot Bélanger, un café de quartier. Avec ses six années d’expérience en restauration, elle connaît bien le poids de l’apparence dans ce milieu. « Quand tu es beau, ça fonctionne mieux, fait remarquer la serveuse. En plus d’être gentil et courtois, il faut être beau, attentionné et faire rire la clientèle », ajoute-t-elle.
Nina Paris constate la même chose. Alors qu’elle travaillait dans un café-bistro d’Outremont, son employeur lui reprochait de ne pas être « assez féminine », raconte-t-elle. Étudiante en design de l’environnement à l’UQAM, elle estime que certains établissements misent délibérément sur l’apparence. « On avait l’air d’une pseudo-agence de mannequinat, on se ressemblait toutes exactement », ajoute-t-elle.
Standards des client(e)s
Après ses quatre années d’expérience dans trois restaurants et bars différents, Nina estime que la pression mise sur l’apparence vient autant de l’établissement que de la clientèle. Les normes physiques imposées par la direction influencent les attentes du public, raconte-t-elle en évoquant son premier emploi au café-bistro d’Outremont. « Tu sens cette pression, parce que ce sont [les clients] qui te donnent le pourboire à la fin de la journée », explique Nina.
« On avait l’air d’une pseudo-agence de mannequinat »
Selon Élisabeth, le public plus âgé nourrit davantage ces attentes. « Je pense que la génération plus vieille a une vision arrêtée de ce que doit être un serveur ou une serveuse », dit-elle.
L’exigence d’une tenue soignée
Pour Sylvain Bois, propriétaire du Café des Bois situé sur l’avenue Mont-Royal depuis maintenant 20 ans, le code vestimentaire est avant tout une question pratique. Il faut être « bien chaussé » et porter des vêtements ajustés afin « qu’il n’y ait pas des manches qui ne trempent dans rien », relate-t-il.
Au-delà des standards de beauté contraignants, les deux serveuses interrogées par le Montréal Campus reconnaissent l’importance d’une apparence soignée. « Ta job [ton travail], c’est d’être vendeur », rappelle Nina. Pour elle, être bien habillée reflète la propreté de l’établissement et contribue à donner une impression d’unité au sein de l’équipe.
Élisabeth partage cet avis, jugeant légitime que la direction demande à ses employé(e)s d’arborer « une apparence plus léchée ou plus soignée » pour maximiser le pourboire et la qualité du service. Elle donne l’exemple d’un personnel vêtu de noir, les cheveux attachés. Selon l’étudiante, « c’est une façon que l’apparence [des employés] soit soignée sans faire du favoritisme envers quelqu’un qui serait considéré comme beau ou laid par la majorité ».
Ce que dit la loi
D’un point de vue juridique, la direction doit naviguer avec prudence, souligne la professeure au Département d’organisation et ressources humaines à l’UQAM Pascale Denis.
« La Charte [des droits et libertés] a préséance [sur les règlements internes des restaurants]. Donc, le principe de non-discrimination en embauche s’applique à tous les secteurs », rappelle Mme Denis, qui est spécialisée dans la discrimination à l’embauche.
Toujours selon la professeure, la discrimination peut se manifester à deux niveaux : celui de l’accoutrement et celui du physique. « Le premier [niveau] n’est pas nécessairement discriminatoire », précise-t-elle. En revanche, pour le second niveau, refuser de sélectionner une personne en raison d’une particularité physique, de son apparence ou de son handicap relève de la discrimination, dit-elle.
Si la discrimination est interdite par la loi, elle peut se manifester de manière subtile dans le milieu du travail. Le propriétaire du Café des bois, Sylvain Bois, admet que certains traits physiques peuvent être « limitatifs » pour les personnes qui convoitent des postes en service à la clientèle. Il donne l’exemple de l’acné sévère ou de brûlures importantes pour illustrer son propos.
Toutefois, il précise que, dans son café, même si l’on y voit de « belles personnes », ce n’est pas un critère d’embauche. Ce qui change tout, « c’est la personnalité », dit-il.



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