Remarques désobligeantes et mentalités arriérées sont monnaie courante pour les travailleuses de la construction. Ces défis, intrinsèquement liés à leur genre, s’ajoutent au rappel constant que leur identité de femme prévaut sur leur rôle de professionnelle sur les chantiers.
« Te faire regarder comme si tu es un morceau de viande, c’est tous les jours, peu importe de quoi tu as l’air », témoigne Mélanie Guevremont, directrice de chantier et de production.
Isabelle Bissonnette, poseuse de systèmes intérieurs, a déjà envisagé de lâcher la construction à cause d’un compagnon. « Tu ne seras jamais assez bonne, jamais assez forte, jamais assez compétente », lui crachait-il en plein visage. « Il a été un enfer dans ma carrière », déclare Mme Bissonnette. Dans ce genre de situation, elle remarque qu’il est rare qu’on vienne l’aider, elle doit se débrouiller toute seule.
En 2023, 7470 travailleuses étaient présentes sur les chantiers, soit une augmentation de plus de 250 depuis 2022, selon la Commission de la construction du Québec. Malgré cette progression, peu importe leur âge et leur spécialisation, ces femmes font face à des obstacles similaires, souvent liés à leur genre ou à des collègues masculins.
Se battre pour être entendue
« Regarde-moi donc ça, la belle plotte à bottes ! » C’est un commentaire que Mélanie Guevremont a reçu d’un homme sur le chantier, qui ne faisait pas partie de son équipe. Elle a porté plainte, et l’homme en question était scandalisé que ses paroles aient pu l’affecter de cette manière. « C’est des petits mots d’amour, voyons », a-t-il osé rétorquer.
En réponse à la plainte, les superviseurs masculins de l’homme ne trouvaient pas qu’il y avait matière à s’affoler. Il a fallu qu’elle se fâche et qu’elle défende son cas.
Dans son milieu de travail, Mme Guevremont estime qu’elle n’a pas à entendre ce genre de commentaires. Si c’était un homme qui avait décidé de faire une plainte pour du harcèlement, elle pense qu’il aurait été pris au sérieux immédiatement.
« La notion de consentement, les hommes la comprennent quand c’est leur corps qui est en jeu. »
Mélanie Guevremont, directrice de chantier et de production
« Quand tu es une minorité, tu ne veux pas être revendicatrice », estime Frédérique Bigras. Pour la monteuse de lignes de 20 ans, il est préférable de ne pas adopter une telle posture si on souhaite « faire sa place ».
La construction, « ce n’est pas pour les doux »
Quand quelqu’un arrive sur le chantier de Mélanie Guevremont et lui demande de voir son superviseur, personne ne présume que c’est elle, « la boss ». « Quand je leur dis que c’est moi, les gens rient un peu, comme si je niaisais », indique-t-elle.
Mme Guevremont gère une équipe de 17 hommes qu’elle a elle-même choisis. Elle juge que sa confiance et sa réputation lui ont permis de gagner rapidement le respect de ses employés. Mais, avec les autres, « il faut qu’[elle se] justifie ».
Être une femme dans le domaine de la construction peut être anxiogène, mais il ne faut pas se remettre en question constamment parce que, sinon, « tu n’es pas sortie du bois », pense Mélanie Guevremont.
Isabelle Bissonnette a dû endurcir son caractère après cinq ans dans le milieu. « Je suis rendue quand même méchante, mais c’est parce que je n’ai pas le choix », admet-elle, pour ne pas donner l’impression d’être vulnérable. Il lui arrive toutefois de questionner sa place dans ce domaine. « Est-ce que je peux endurer autant de commentaires ? Des fois, ça devient lourd », soupire-t-elle.
Prouver sa valeur
« C’est toujours Isa la fille, pas Isa la poseuse », déplore Isabelle Bissonnette. Peu importe la compagnie ou l’équipe, elle doit continuellement montrer qu’elle est capable de faire son travail. « Ça ne s’arrête jamais. » Elle aimerait être perçue à sa juste valeur, sans avoir à se justifier, simplement parce qu’elle est une femme.
« Je suis une travailleuse avant d’être une femme quand je suis sur le chantier »
Isabelle Bissonnette, poseuse de systèmes intérieurs
Les bourses et les programmes mis en place dans divers domaines de la construction ayant pour but d’augmenter la présence des femmes sur les chantiers faciliteraient leur entrée dans le milieu. Par exemple, des compagnies peuvent recevoir jusqu’à 10 000 $ pour intégrer une femme à leur entreprise.Pour Mme Bigras, l’initiative peut être une bonne chose. Toutefois, « ça serait bien qu’on garde notre poste parce qu’on est bonnes et qu’on le mérite, précise-t-elle. Pas juste parce qu’on est des filles ! » Comme Mme Bissonnette, elle aspire à être perçue comme « une monteuse, pas comme une femme monteuse de lignes ».
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