Être en relation avec une personne incarcéréeCoupable d’être en couple

« J’ai l’impression que, juste pour me faire prendre au sérieux par mon entourage, c’est peut-être mieux de garder ça sous silence », affirme Marie*, qui est en couple avec une personne incarcérée depuis quatre ans. C’est une réalité pleine de défis pour ceux et celles qui vivent une vie séparée de leur partenaire détenu(e).

Marie a appris à connaître son conjoint alors qu’il était déjà derrière les barreaux. « J’ai été vraiment impressionnée que, malgré les conditions, il ait toujours trouvé un moyen de prendre soin de moi et que ce ne soit pas seulement moi qui prenne soin de lui. »

Elle a tout de même remis en question le fait de s’engager avec lui en raison de sa criminalité. « Je ne suis pas quelqu’un qui tombe facilement amoureux, donc oui, ça trottait dans mon esprit, ça me faisait reculer », dit-elle.

Même si le couple est conjoint de fait, seuls certains membres de la famille de Marie et ses ami(e)s proches sont au courant de leur relation. Elle ne l’a toujours pas dit à ses parents. « J’aimerais qu’ils le rencontrent au moins [une fois] avant de se faire une idée de lui […] Ils comprendraient peut-être plus ma décision. »

Le jugement des autres

« Au début de ma relation, les gens essayaient beaucoup de me convaincre que ce n’était pas bien pour moi, qu’il fallait que je m’en aille, que cette personne-là était juste un manipulateur », exprime Marie. Elle affirme que son conjoint a prouvé à maintes reprises que ce n’était pas du tout le cas.

« On nous considère comme étant des victimes de cette relation-là plutôt que de nous accompagner à la vivre d’une manière adéquate », explique-t-elle.

« On nous considère comme étant des victimes de cette relation-là plutôt que de nous accompagner à la vivre d’une manière adéquate »

Marie

« Je vois le regard des gens qui change envers moi […] Toute l’image qu’ils s’étaient construite de moi, de la fille forte qui ne tombe pas facilement amoureuse, elle était complètement détruite. » Elle évite donc de parler de son couple à n’importe qui. Elle ne se permet pas d’aborder le sujet avec ses collègues dans son milieu professionnel.

Une « population invisibilisée »

Relais Famille est le seul organisme exclusivement dédié à soutenir l’entourage des personnes judiciarisées au Québec depuis 26 ans. Il s’agit d’« une population invisibilisée par nos gouvernements », selon la directrice générale de l’organisme, Sophie Maury. « En fait, rien n’est fait pour les soutenir ou leur offrir des outils. »

Paradoxalement, les services correctionnels feraient beaucoup reposer la réinsertion sociale sur l’entourage, selon Mme Maury. « Les recherches démontrent que si [les personnes incarcérées] ont de la famille à l’extérieur, la réinsertion va être plus facile et certainement plus réussie que pour celles qui n’ont plus personne. »

L’organisme offre surtout des services en matière de littératie judiciaire, ainsi que du soutien psychologique. Relais Famille n’offre toutefois pas de soutien financier, bien que « ça coûte cher de soutenir quelqu’un d’incarcéré », précise la directrice de l’organisme. Il faut payer les frais d’avocat, débourser pour rendre visite, demander une journée de congé, payer un(e) gardien(ne) pour les enfants, etc.

Le conjoint de Marie purge présentement sa peine en Ontario. « Il a fallu que j’y aille trois fois pour le visiter uniquement [à coup de] 30 minutes, mais ça prend de l’argent pour l’essence, l’hôtel, etc. », explique la femme.

« Expérience carcérale élargie »

Selon Mme Maury, l’entourage des personnes judiciarisées vit ce qu’on appelle « l’expérience carcérale élargie ». En effet, il « purge une peine au même titre que ses proches incarcérés, alors qu’il n’a pas commis de crime ou de délit ». Par exemple, il est impossible de passer un coup de fil au moment souhaité ou de choisir son temps de visite.

Marie se reconnaît dans cette idée, puisque c’est un défi non seulement de ne pas pouvoir voir la personne qu’elle aime, mais aussi que leurs moments soient surveillés.

Elle donne l’exemple d’être contrainte de raccrocher lors d’un appel important, de se faire avertir par des agent(e)s correctionnel(le)s lorsqu’elle embrasse son partenaire, ou bien d’avoir peur de dire quelque chose qui pourrait nuire aux conditions de libération de son conjoint.

« Quand tu es en couple, simplement la présence de l’autre personne peut faire en sorte d’arranger n’importe quelle situation […] tandis que, dans ce contexte-là, tout doit être arrangé par une conversation. Et ces conversations-là ne sont pas toujours permises », explique Marie.

Communiquer à travers les barreaux

Marie avait seulement le droit à des appels ou de courtes visites dans les débuts de sa relation. Elle et son partenaire s’envoyaient aussi beaucoup de lettres par la poste. Aujourd’hui, elle a le droit à des visites familiales privées. Elle peut donc voir son conjoint dans une unité privée et passer un maximum de 72 heures avec lui. Ils se voient à une fréquence d’environ trois mois.

« Bien que ce soit interdit, il y a beaucoup de gens qui ont des téléphones à l’intérieur [de la prison], donc on a aussi l’occasion, des fois, de se parler en FaceTime ou des choses comme ça », ajoute-t-elle avec un sourire en coin.

*Prénom fictif accordé pour conserver l’anonymat.

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