Emprunter une culture avec des gants blancs

La ligne est mince entre l’appropriation et l’appréciation culturelle, selon des expert(e)s. Pour éviter les faux pas, l’écoute et la collaboration devraient être au centre de la démarche des artistes qui souhaitent représenter des éléments d’autres cultures dans leurs œuvres.

« L’appropriation culturelle, c’est quelque chose de négatif, avec une relation de pouvoir très marquée entre une culture dominante et une culture dominée », explique Jean-Philippe Uzel, directeur du groupe de recherche interdisciplinaire sur les affirmations autochtones contemporaines (GRIAAC) et professeur au Département d’histoire de l’art de l’UQAM.

Appréciation possible

Dans certains cas, une œuvre peut faire des emprunts à une culture pour l’honorer – on parle alors d’appréciation culturelle. « Dans les mots “appréciation culturelle”, il y a une dimension de respect et d’hommage, qui est absolument absente dans le concept d’appropriation culturelle », ajoute M. Uzel. 

Une question s’impose alors : où tracer la ligne entre les deux concepts? D’après le professeur, la limite varie selon chaque cas. Il affirme que les bonnes intentions ne suffisent pas à se protéger de l’appropriation culturelle. 

Un rapport de la Commission de vérité et réconciliation avance que « l’art est un élément de guérison et permettrait de rapprocher les populations autochtones ».

« Beaucoup d’artistes allochtones avec plein de bonnes intentions, mais sans les connaissances nécessaires, ont représenté des symboles sacrés ou des éléments douloureux, sans mettre suffisamment de respect dans la façon dont ils ont présenté ces choses. C’est là où il y a appropriation », indique Jean-Philippe Uzel. 

Il fait un parallèle avec la pièce de théâtre de Robert Lepage, Kanata, qui raconte l’histoire des Autochtones au Canada. L’annonce de cette œuvre a fait polémique en 2018 pour son manque de comédien(ne)s des Premières Nations. La pièce a finalement été annulée.

« Une rencontre vers l’autre »

« Dès qu’on a l’idée de parler d’un sujet autochtone, il faut qu’on ait le réflexe d’essayer de s’entourer de gens autochtones », argue Dave Jenniss, directeur artistique du théâtre Ondinnok et membre de la nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécites). Il soutient qu’une appréciation culturelle réussie peut seulement se faire avec la collaboration des membres de la culture empruntée. 

« On s’est beaucoup servi de l’histoire autochtone pour faire de l’art, sans prendre conscience qu’il y avait des gens qui avaient vécu des traumatismes liés à leur perte d’identité, à leur perte de vie sociale à leur perte de langue », déplore-t-il.

M. Jenniss pense qu’il faut donner l’opportunité aux personnes autochtones de prendre la parole et de raconter leurs histoires. Il ajoute qu’une recherche rigoureuse, qui passe par la discussion et les rencontres en personne, est nécessaire.

« Une rencontre avec l’autre, c’est une façon d’en apprendre un peu plus sur notre fonctionnement. On s’assure qu’on ne heurte personne et ça vient démontrer le sérieux de la démarche. »

Le directeur artistique n’hésite pas à refuser de collaborer à certains projets artistiques lorsqu’il « ne sent pas que c’est [un travail] qui est abouti ou qui découle d’une recherche approfondie ».

Prendre la parole pour soi

Le projet de thèse-création de la doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM Geneviève Bélisle, qui est une réflexion sur l’appropriation culturelle dans les arts, pave la voie selon M. Jenniss.  « Elle se pose beaucoup de questions dans ce texte-là sur ce qu’elle peut dire et ne pas dire », confie-t-il.

« Le but, c’était d’aller au-delà de nos identités autochtones et allochtones. » 

Geneviève Bélisle, doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM

Geneviève Bélisle affirme avoir eu de la difficulté à trouver l’angle d’approche de sa thèse. « Au fil des discussions, je me suis rendue compte que la meilleure façon d’aborder ce projet, c’était de faire en sorte que mon discours soit le mien, que je ne parle pas au nom des Autochtones », explique-t-elle.
Elle tenait à trouver les bons outils de communication avant de commencer afin de ne pas tomber dans la diversité de façade (tokenism). « Je ne voulais pas non plus utiliser les gens des Premières Nations pour répondre à mes questions, avoue Mme Bélisle. Plutôt que d’arriver avec mille questions j’ai beaucoup plus été dans l’écoute. »

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