Laissez-moi danser!

À 39 ans, alors qu’elle a deux enfants et une carrière de danseuse à l’international, Jacinthe Giroux subit un accident vasculaire cérébral (AVC) qui lui laisse des séquelles de langage sévères. 

Vingt ans plus tard, une crise d’épilepsie la prive de sa motricité du côté droit. Malgré ses handicaps, elle défie chaque jour les standards de la scène artistique québécoise avec ses créations de danse et d’art visuel. 

À la suite de son AVC, Jacinthe a dû réapprendre progressivement à marcher. Déterminée à continuer à bouger, Jacinthe s’est engagée dans un processus éprouvant de réhabilitation. « Ça m’a pris beaucoup de temps, d’énergie et de physio, mais ça, c’est moi qui le voulais. » 

Les Conseils des arts de Montréal et du Canada lui ont offert des subventions, qui l’ont aidée à poursuivre sa carrière. Aujourd’hui, Jacinthe a la chance de participer à différentes créations malgré son handicap, grâce à des diffuseurs comme les productions Des pieds des mains dirigées par Menka Nagrani, qui prônent l’inclusion des personnes « atypiques ». 

Jacinthe est ainsi parvenue à poursuivre son parcours professionnel en dépit de son handicap. Elle évite toutefois de comparer sa carrière d’aujourd’hui avec celle d’avant son AVC. « Avant c’est avant et après c’est après », se dit-elle.

« Après ma crise d’épilepsie, j’ai eu de la difficulté à refaire ma vie. » 

– Jacinthe Giroux, artiste visuelle et danseuse

Elle réussit tout de même à gagner sa vie grâce à des contrats qu’elle déniche ici et là. Par exemple, elle donne des cours de danse, qui lui rapportent 300 $ par mois, participe comme juge à des compétitions de danse du Conseil des arts du Canada et reçoit un montant du Régime des rentes du Québec. Elle a aussi récemment bénéficié d’une subvention de 44 000 $ du Conseil des arts du Canada pour le financement du projet Apparences.

Cette exposition-performance interactive présentée à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal en octobre 2023 mettait en scène des artistes aphasiques, c’est-à-dire atteint(e)s d’un trouble du langage sévère. Bien que le montant paraisse généreux, « il en reste beaucoup moins après les coûts de la salle, des employés et des décors », partage Jacinthe. 

Des enjeux « mal compris »

Les personnes aphasiques ou ayant une déficience intellectuelle ne sont pas toujours en mesure de comprendre ou de formuler une demande de subvention pour leurs créations, selon Marie-France Mareil, présidente de l’organisme Visions sur l’art, qui regroupe et soutient les artistes de toutes disciplines et en toutes situations de handicap. 

Ces subventions sont d’ailleurs essentielles pour permettre à plusieurs artistes de survivre financièrement. Mme Mareil note que cette limitation est l’une des nombreuses réalités mal comprises des artistes en situation de handicap. « Quand tu as une difficulté de langage grave, ça prend vraiment une assistance pour dialoguer avec la société. » Chaque handicap est lié à un enjeu quelconque en arts, explique Mme Mareil. Par exemple, elle indique que « les artistes en art visuel autonomes sont plutôt des gens qui ont des limitations physiques, mais pas intellectuelles ». 

Pour ces artistes, elle souligne que « les enjeux sont surtout au niveau de l’accessibilité, comme trouver un endroit d’exposition qui est facile d’accès ou avoir de l’aide pour transporter les œuvres et les installer ».

Mme Mareil soutient qu’il y a encore du chemin à faire quant aux accommodements apportés par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. « Ça s’améliore de plus en plus sur papier, mais il n’y a pas d’effort dans les moyens concrets. » 

Elle dénonce que le Québec soit moins inclusif que les autres provinces dans le domaine de l’art. Le gouvernement québécois en a pourtant les moyens, d’après Mme Mareil : il dépense deux fois plus en culture fille la majorité des autres provinces. 

Maximiser l’inclusion

Elisa Desoer travaille au Conseil des arts de Montréal et a contribué au développement de cieux programmes de soutien aux artistes en situation de handicap. 

Le premier offre une aide financière pour des projets qui coûtent jusqu’à 15 000 $. Le second finance les adaptations nécessaires aux artistes. « On offre des subventions de plus pour la rédaction de leurs demandes de financement ou de transport adapté, par exemple », indique-t-elle. 

Elisa Desoer insiste sur la nécessité de développer des programmes d’inclusion. Son équipe a senti le besoin de créer un programme dédié à cette clientèle. « Ces personnes ont plus de barrières pour accéder à des subventions », explique-t-elle. Parmi ces obstacles, il y a les diffuseurs, qui n’ont « pas toujours l’ouverture pour donner la place qu’il faut à ces artistes-là ».

Dilemme financier

La présidente de Visions sur l’art avance qu’il y a « une question de pauvreté pour plusieurs de ces artistes, parce que certains sont inaptes au marché du travail ».

Ils et elles sont donc bénéficiaires de la solidarité sociale, mais « n’ont pas le droit d’être un artiste et de vendre des œuvres sans perdre le droit à cette aide financière ». 

Ce dilemme ne touche pas les athlètes paralympiques, qui peuvent bénéficier d’une aide financière gouvernementale tout en étant rémunéré(e)s en pratiquant leur sport.

« Alors on peut reconnaître une personne handicapée pour être un athlète même si elle ne peut pas aller sur le marché du travail mais pas les artistes, s’offusque Marie-France Mareil. C’est un enjeu très embêtant! »

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