« Je pensais que c’était dans ma tête »

« Quand on est un homme, on ne se fait pas agresser. On est capable de se défendre. » Nombreux sont les mythes qui doivent encore aujourd’hui être déconstruits concernant les hommes victimes d’agressions sexuelles.

Mathis* avait huit ans lorsqu’il s’est fait agresser pour la première fois. C’était par un proche qu’il ne voyait qu’une fois par année lors de rassemblements familiaux. Selon ses souvenirs, les viols se seraient répétées jusqu’à ses 11 ans.

« Je savais que ce n’était pas normal, mais je ne pouvais pas mettre le mol sur ce qui m’arrivait », se rappelle le jeune homme.

Dû à son jeune âge et à l’absence de représentation médiatique de victimes masculines, Mathis a refoulé les ressentis liés à ces années d’agressions sexuelles. « J’étais un garçon, je n’existais pas dans les descriptions de victimes. Je pensais que c’était juste dans ma tête. »

Ce n’est qu’à l’automne 2023 que l’étudiant au baccalauréat en études littéraires à l’UQAM s’est finalement ouvert le cœur en revenant sur cette période douloureuse de son enfance. Un texte de six pages portant sur une injustice subie par soi-même ou autrui : voilà la consigne du travail universitaire qui a permis à Mathis d’en parler pour la première fois.

« Malgré le vacarme de la cuisine, rien n’est plus clair que le bruit d’une personne s’extirpant de son lit : And never mind that noise you heard. Il est impossible de ne pas voir l’ombre noire sur fond noir marchant vers moi : It’s just the beasts under your bed. La radio continue de crier : In your closet, in your head, mais rien de ce qui suivra sera du monde de l’imaginaire. L’ombre se jette sur moi, beaucoup plus forte que moi. J’essaie de me débattre – elle menace de tout dévoiler – j’arrête de me débattre. L’ombre me dira que ce qui m’arrive est de ma faute. Si tout ce qui se passe ce soir est révélé, les gens me détesteront et se moqueront de moi. Je la crois, faute de ne pas mieux savoir, et je vais continuer de la croire pendant des années. »

Extrait du travail de Mathis

« En l’écrivant, ça existait. Je ne pouvais pas faire semblant que ce n’était jamais arrivé », affirme-t-il sur un ton des plus doux. La rédaction du texte a été libératrice pour lui et il s’est depuis confié à quelques ami(e)s et certains membres de sa famille, dont sa mère.

Ressentir les contrecoups

Selon Mathis, ces années de violences l’ont surtout affecté lorsque les souvenirs ont refait surface l’automne dernier. À ce moment-là, il a sombré dans une dépression durant laquelle les pensées suicidaires faisaient partie de son quotidien. Une reprise de contact involontaire avec son agresseur dans la même période est venue rendre le tout encore plus difficile, mais l’étudiant a pu profiter des services psychologiques de l’UQAM.

En reconnaissant avoir été agressé par le passé, l’étudiant arrive maintenant à comprendre certains comportements qu’il a eus à l’adolescence.

« Quand les viols sont tout ce que tu connais, lu t’effaces lorsque tu commences à avoir des relations sexuelles en couple», confie-t-il. Il avait ainsi tendance à repousser les filles qu’il aimait sans trop savoir pourquoi.

« La personne se développe à travers ce traumatisme qu’elle a vécu de manière précoce. Il y a donc encore plus de répercussions sur l’estime de soi, puis sur le rapport aux autres et au monde», explique Hélène Latrille,

psychologue et directrice des services cliniques à La Traversée, un organisme de la Montérégie venant en aide aux victimes de violence sexuelle.

Dépression, problèmes d’intimité et stress post-traumatique; les conséquences visibles sont les mêmes chez les hommes et les femmes. La distinction se trouve plutôt dans les nombreux mythes entourant la masculinité.

Toujours tabou en 2024

Marc-Antoine Lemay, responsable des communications au Centre de ressources et

d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE), explique que tous les questionnements émanant de telles expériences sont lourds.

Selon lui, le fait même de parler d’abus sexuels est encore tabou, peu importe le genre de la victime. Les mythes et les préjugés entourant la masculinité viendraient toutefois complexifier la prise de paroles des hommes. «Pourquoi n’as-tu pas été capable de te défendre? », lance M. Lemay pour illustrer le genre de réactions teintées d’incompréhension que reçoivent souvent les hommes victimes.

Quand l’autrice du viol est une femme, un autre préjugé concernant le désir sexuel des hommes entre dans la partie. « L’homme ne sera pas nécessairement pris au sérieux. On va lui dire qu’il a de la chance et que normalement, il devrait toujours avoir des envies et se féliciter d’avoir des rapports sexuels », déplore la psychologue Hélène Latrille.

À son avis, le fait qu’un homme subisse une agression peut encore être perçu comme une faiblesse.

« C’est un tabou dans un tabou. » – Marc-Antoine Lemay

Tous ces préjugés entraîneraient une horde de répercussions sur les victimes telle que la honte et la culpabilité.

« Le fait que ce soit une agression sexuelle n ’empêche pas qu’il puisse y avoir une réponse naturelle du corps humain. Il peut décoder favorablement de stimulation aux organes génitaux durant cette violences sexuelles, sans que la personne le veuille », souligne Mme Latrille.

De cette façon, la personne ayant subi l’acte peut avoir l’impression d’y avoir participé, ne se considérant donc pas comme une victime.

Marc-Antoine Lemay rappelle que la première étape est d’aller chercher de l’aide. Dans le cadre de son emploi, il dit entendre de nombreux témoignages comme quoi les services du CRIPHASE libèrent les victimes d’agressions « d’un poids important ».

« Plus ces organismes se feront connaître, plus ça permettra à des hommes de trouver le courage d’aller cogner à leur porte », estime Hélène Latrille.

*Prénom fictif pour préserver l’anonymat.

Si vous avez besoin de soutien ou si vous vous inquiétez pour un(e) proche, de l’aide est disponible :

Ligne ressource pour les victimes d’agression sexuelle : 1-888-933-9007

CRIPHASE : 514-529-5567

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