La richesse souterraine de Montréal

Métro Crémazie, il est 13 h. Une mélancolie électroacoustique résonne dans le vide souterrain de la station. Certain(e)s usager(e)s ralentissent le pas pour apprécier la douce voix qui accompagne la guitare de l’artiste. Il est en pleine maîtrise du moment.

« À 16 ans, je suis devenu obsédé par les classiques comme Hendrix, Pink Floyd, Led Zeppelin », explique Tristan Rene, un ancien étudiant en électroacoustique à l’Université Concordia. Bien qu’il soit vendeur de logiciels, il vient jouer dans le métro en moyenne quatre fois par semaine, à coup de séances de 90 minutes, période durant laquelle il récolte chaque fois de « trois à dix nouveaux abonnés sur Instagram et au moins 60$ ». « Je suis mieux payé qu’un travail au salaire minimum », s’exclame le musicien de 26 ans.

Le réseau souterrain de la Société des transports de Montréal (STM) est son terrain de jeu, où il se permet d’improviser et de tester ses chansons. Il souhaite un jour vivre de sa musique.

Bien que Tristan espère percer dans le monde musical traditionnel, faire carrière dans la musique de rue est chose possible. C’est d’ailleurs ce que démontre le parcours de Daniel Lalonde, multi-instrumentiste de rue et président des Musiciens de métro et de la rue de Montréal (MMetRM) depuis 2011. Pour être membre de cet organisme à but non lucratif, les artistes doivent soumettre une courte vidéo afin de prouver leurs compétences et doivent avoir un répertoire de 90 minutes de chansons.

Alors que leur mandat de s’occuper des musicien(ne)s dans les métros a été transféré à la STM en 2019, les MMetRM sont aujourd’hui devenus « une agence de placement qui place des musiciens [membres] dans des contrats événementiels non lucratifs comme les rues piétonnes ou les pianos publics », dit M. Lalonde.

Claire Dellar, responsable des communications des MMetRM, affirme que les stations de métro de la métropole regorgent de musicien(ne)s chevronné(e)s. « Il y en a qui ont fait l’université ou qui sortent du conservatoire, dont c’est le métier. […] Il y a des musiciens de tous les styles, de tous les niveaux et de toutes les cultures. »

Mention photo : Chloé Rondeau

De la congestion dans les stations

Avant novembre 2021, les musicien(ne)s devaient se rendre à la feuille de chaque station de métro à 5 h pour réserver leur plage horaire et leur lyre – terme employé pour désigner les emplacements choisis par la STM pour jouer de la musique dans son réseau.

Depuis, la STM a inauguré une plateforme en ligne où les artistes peuvent réserver leurs séances jusqu’à une semaine à l’avance. « Beaucoup de musiciens trouvent ça plus facile d’aller sur Internet que de se garrocher sur les feuilles à 5 h le matin », explique M. Lalonde.

Selon lui, les stations du métro de Montréal accueillent près de 300 musicien(ne)s de talents, dont seule une cinquantaine prennent des contrats de MMetRM. La grande majorité des artistes dépendent donc exclusivement des stations plus lucratives pour être rentables. « Il y a trop de musiciens qui jouent dans ces métros, et il n’y a pas assez d’emplacements de qualité pour jouer », déplore le président des MMetRM. Bien que la plateforme en ligne de la STM propose plus de 50 emplacements autorisés disponibles, Daniel Lalonde explique que « ce ne sont pas tous des emplacements qui valent la peine d’aller y jouer ». Selon lui, certains sont trop froids pour jouer l’hiver alors que d’autres sont mal situés. Il estime ainsi que les musicien(ne)s se concentrent sur une vingtaine de lyres, principalement situées aux stations du centre-ville, comme Guy-Concordia et Place-des-Arts.

Selon les données de la STM, la station Jean-Talon est la plus fréquentée par les musicien(ne)s de métro avec 3462 plages réservées en 2023, alors que la station De La Savane est la moins fréquentée avec 9 plages réservées en 2023. À noter qu'il y a trois lyres différentes dans la station Jean-Talon.

« Pour l’amour de la musique »

Lenin Zurita est un auteur-compositeur et guitariste depuis 30 ans, performant dans les métros de Barcelone et de Montréal depuis les 15 dernières années. Selon lui, jouer au centre-ville est trop intense, car il y a un fort roulement de musicien(ne)s. Il faut donc se ramasser en vitesse à la fin et se préparer d’avance est presque impossible. « Tu finis par jouer toute ta séance en regardant ta montre. Finalement, tu n’es jamais complètement dans le moment. »

Même si c’est moins lucratif, Lenin Zurita préfère jouer dans des stations moins fréquentées par les autres musicien(ne)s, comme Crémazie. « Je peux davantage prendre le temps de m’installer, de jouer à mon rythme et interagir avec les gens. »

En réponse à cette compétition, le président des MMetRM espère présenter prochainement à la STM un projet de 24 lyres acoustiques. Il imagine des emplacements où « on ne mettrait pas d’amplificateur, juste un accordéon, un violon, ou une guitare avec quelqu’un qui chante sans micro ». Selon lui, cette douceur musicale permettrait aux musicien(ne)s d’être plus près des commerces sans les déranger. À sa connaissance, la distance minimale entre un musicien et un commerce est actuellement de 50 pieds. 

Que le système actuel de la STM soit imparfait ne nuit toutefois pas au plaisir qu’éprouve Tristan Rene. « Ce qui est vraiment génial en tant que musicien de métro, c’est que les gens ne sont pas là pour toi. Ça t’apprend à réagir à quelqu'un qui ne s’intéresse pas à toi et à l'accepter. C'est une expérience qui rend humble, parce que ce n'est pas du tout une question d'ego, c'est pour l'amour de la musique que je le fais. » Questionné sur les problématiques qu’il peut rencontrer en pratiquant cet art souterrain à Montréal, il esquisse un sourire reconnaissant et répond qu’« il n'y a que des bonnes choses qui viennent de là ».

Commentaires

Une réponse à “La richesse souterraine de Montréal”

  1. Je lis ça depuis Perpignan en France et c’est drôlement chouette. Je ne sais pas trop comment ça fonctionne là-haut à Paris, faudra que je regarde le sujet.
    Je le dis parce que c’est l’occasion : je suis auteur et donc parolier, si un musicien veut bosser par delà la distance, je suis ouvert aux propositions ! 😉

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