La justice réparatrice comme outil d’apaisement

La justice réparatrice est un dispositif méconnu. Le film Je verrai toujours vos visages, réalisé par Jeanne Herry, met en lumière cet outil de rémission autant pour les victimes que pour les auteur(e)s d’actes criminels.

Le long métrage sorti en novembre 2023 est rythmé par les conversations, les doutes et les aveux de trois détenus et de trois victimes qui suivent ensemble le processus de la justice réparatrice en quête de réponses, mais aussi de sérénité. Tous et toutes sont concerné(e)s par des crimes tournant autour du vol (braquage et vol à l’arraché). Le film suit aussi le parcours de Chloé, une victime de viols incestueux par son frère, qui désire le rencontrer par le biais de la médiation, une forme de justice réparatrice aussi connue sous le nom de justice restaurative en France, où se déroule le film.

Selon le ministère de la Justice du Canada, la justice réparatrice permet « aux victimes, aux délinquants et aux collectivités qui sont touchés par un crime la possibilité de parler (directement ou indirectement) des causes, des circonstances et des répercussions de ce crime, ainsi que d’aborder leurs besoins à cet égard ».

La justice réparatrice était pour Jeanne Herry une « promesse de cinéma », puisqu’elle permet de mêler intensité et scènes d’action psychologique. « J’y ai vu un terrain de jeu intéressant pour écrire un film », explique-t-elle au Montréal Campus. En choisissant d’aborder le vol et l’inceste, elle a voulu « s’intéresser à ce qui se passe dans la rue et dans les maisons ».

Fidèle à la réalité

Je verrai toujours vos visages est un film très fidèle à la réalité selon Michel Gardette, membre bénévole de l’Institut français pour la justice restaurative en France. Ce dernier a participé notamment à des rencontres entre condamné(e)s et victimes d’infractions à caractère sexuel et de violence conjugale. Les rencontres se déroulaient dans un lieu ouvert, contrairement aux scènes du film de Jeanne Herry qui ont lieu en détention, puisque les condamnés n’ont pas tous purgé leurs peines.

À chaque rencontre, un(e) bénévole et des animateurs et animatrices formé(e)s sont présent(e)s. « Je me suis retrouvé complètement [dans le film] », confie Michel Gardette. En tant que membre bénévole, « on représente la société et notre rôle est de faciliter le dialogue de façon neutre », ajoute-t-il.

Comme dans la réalité, les participant(e)s de Je verrai toujours vos visages ne se connaissaient pas avant de prendre part aux cinq rencontres détenu(e)s-victimes hebdomadaires. Leurs affaires n’ont pas de lien, mais ils sont tous et toutes concerné(e)s par la même typologie de crime. C’est d’ailleurs l’un des dispositifs les plus populaires de la justice réparatrice avec la médiation.

Avant d’arriver à l’étape de la conversation, la justice réparatrice comprend tout un processus de préparation. Il faut plusieurs mois pour « éviter tout risque de revictimisation », indique Michel Gardette, mais aussi pour que les auteur(e)s des crimes ne soient pas stigmatisé(e)s. « Même s’il a commis un acte monstrueux, ce n’est pas lui-même un monstre », précise-t-il.

Apaiser la société

Le but central est « l’apaisement des personnes et de la société », explique M. Gardette. C’est mission réussie dans Je verrai toujours vos visages, puisque les victimes et les auteurs se partagent un repas de façon décontractée à la fin du film. « J’aurais plus trahi le réel en montrant des rencontres qui se passent mal qu’en montrant des rencontres qui se passent globalement bien », partage la réalisatrice.

« On était capable d’avoir une relation cordiale [avec les les auteurs et autrices des crimes]. Et de les trouver sympathiques. Ça, je ne m’y attendais pas », dévoile Marie*, qui a eu recours en tant que victime à la justice réparatrice à Montréal cet automne. La quarantenaire confie que « la première rencontre a été plus difficile ». C’est une « grosse charge émotive », mais Marie a réussi à y trouver du soulagement.

« On était plus sereins avec ce qu’on a vécu sans nécessairement avoir pardonné. »

Entendre les criminel(le)s reconnaître leur responsabilité a fait beaucoup de bien à Marie. Elle nuance cependant que ce dispositif n’est possible qu’avec des personnes ayant suivi une thérapie et se sentant coupables. « Avec eux, c’était possible parce qu’ils avaient fait tout ce chemin-là ».

Marie trouve le processus difficile à mettre en place et les ressources limitées. « Il faut qu’ils trouvent quatre victimes et quatre agresseurs qui ont des crimes similaires », précise-t-elle. D’après Michel Gardette, la justice réparatrice a encore du chemin à faire en France. À ce jour, le travail des organisateurs et organisatrices manque de reconnaissance parce qu’ils et elles doivent effectuer le travail sur leur temps de congé personnel, explique M. Gardette. Selon lui, « la volonté politique n’est pas vraiment présente ».

Malgré tout, Marie trouve que la justice réparatrice est un beau dispositif. « Ça mériterait vraiment d’être plus connu comme processus », affirme-t-elle. Tout comme Michel Gardette et Jeanne Herry, elle espère que cet outil continue de se développer pour venir en aide aux gens et ainsi réparer un peu de la société.

*Prénom fictif pour préserver l’anonymat.

Mention photo : Nicolas Loir

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